PORT-AU-PRINCE, lundi 24 juin 2024-Lors d’une interview accordée à RHINEWS, Me Samuel Madistin, expert en droit pénal et président de la Fondasyon Je Klere (FJKL), partage ses perspectives sur la mise en application des nouveaux codes pénal et de procédure pénale en Haïti. L’interview a mis en lumière la complexité de cette question et les défis auxquels le pays est confronté.
Selon Me Madistin, la question de la mise en vigueur des nouveaux codes pénal et de procédure pénale ne devrait pas être abordée de manière simpliste. “C’est une question profondément liée à notre structure de société, notre mentalité de peuple foncièrement opposé aux changements, aux progrès, à l’innovation et à l’ordre,” explique-t-il.
Pour illustrer ses propos, il évoque deux exemples marquants. Le premier concerne la réforme de l’Université en 1987. La constitution de cette année a aboli la loi de 1960 de Duvalier sans qu’une nouvelle loi ne soit adoptée pour régir l’université. “Plus de trente ans plus tard, nous sommes toujours sous l’égide de dispositions transitoires. La communauté universitaire est incapable de se mettre d’accord sur un projet de loi pour régir l’Université,” souligne Me Madistin. Ce manque de consensus révèle, selon lui, un refus de l’ordre et de l’organisation rationnelle.
Le second exemple concerne la loi de 1994 portant sur la création, l’organisation et le fonctionnement de la Police Nationale d’Haïti (PNH). Malgré les changements dans les menaces et les besoins, aucune nouvelle loi n’a été adoptée pour régir la PNH et ses unités spécialisées. “Notre paresse en matière de production législative et réglementaire est un problème sérieux lié à notre refus de la modernité,” déclare Me Madistin.
En abordant les nouveaux codes pénal et de procédure pénale, Me Madistin rappelle que les codes actuellement en vigueur datent de 1835. “Vous pensez qu’ils peuvent aujourd’hui encore régir notre société avec les nouvelles menaces et les nouvelles structures qui la caractérisent et qu’il était impossible de prévoir en 1835 ? La réponse évidente est non,” affirme-t-il. Il s’interroge donc sur les raisons pour lesquelles ces codes n’ont jamais été amendés.
Il critique également le manque de volonté politique pour adapter les nouveaux codes aux réalités contemporaines. “À la dernière législature, le code pénal a été déposé au sénat mais jamais adopté. Sous la pression internationale, Jovenel Moise a publié ces codes par décret, mais ils ont fait l’objet de vives critiques,” explique-t-il.
Me Madistin estime que le débat aurait dû porter sur les amendements à apporter aux nouveaux codes pour les rendre plus acceptables, plutôt que de discuter leur mise en vigueur ou non. “Les codes dont la mise en vigueur est de nouveau reportée feront-ils plus de tort à la société que les codes de 1835 ? Faut-il attendre encore cinquante ans pour leur mise en vigueur ?”, se demande-t-il.
Les défis contemporains tels que la traite des êtres humains, le trafic de migrants, la criminalité transnationale organisée, et la corruption, ne peuvent être correctement régulés par des codes datant de près de deux siècles. “Le monde bouge et le droit pénal moderne dépasse les frontières de la souveraineté des États. Devrons-nous toujours rester en marge ?”, interroge Me Madistin.
Il conclut en affirmant que le véritable problème est notre relation avec la modernité et notre capacité à adopter une législation adaptée à la réalité actuelle. “Ne me demandez pas après deux siècles d’indépendance quelle est la couleur de notre drapeau. Je préfère le débat sur le développement, sur la modernité, sur la technologie.”
Me Samuel Madistin appelle ainsi à un débat plus profond et constructif sur les amendements nécessaires aux nouveaux codes pénal et de procédure pénale, plutôt que de retarder indéfiniment leur mise en vigueur.