MIAMI, lundi 16 septembre 2024– Dans une interview accordée au Réseau Haïtien de l’Information (RHINEWS), Daniel Foote, ancien envoyé spécial des États-Unis en Haïti, a livré une analyse sans concession de la gestion de la crise haïtienne par la communauté internationale, en particulier les États-Unis, tout en proposant des solutions qui reposent sur une véritable implication des Haïtiens. Rejetant les approches actuelles, notamment celles soutenues par les Nations Unies et la Mission de Stabilisation et de Sécurité (MSS) menée par les forces kényanes, Foote a insisté sur la nécessité de permettre aux Haïtiens de retrouver la maîtrise de leur destin, avec le soutien de la communauté internationale, mais sans ingérence.
Interrogé sur la récente visite du secrétaire d’État américain Antony Blinken en Haïti, Daniel Foote a exprimé son scepticisme quant à l’efficacité de ce déplacement. Selon lui, la visite visait avant tout à afficher l’engagement des États-Unis à soutenir Haïti, mais sans apporter de changements concrets sur le terrain.
« L’objectif de la visite était de montrer au peuple haïtien que les États-Unis s’engagent à améliorer leur vie, malgré la paralysie de l’Amérique depuis qu’elle a désigné DeFakto Henry en juillet 2021 », a déclaré Foote. Il a également dénoncé la présentation trompeuse du processus de transition par Antony Blinken : « Il [Blinken] a perpétué le faux récit selon lequel le processus du Conseil de Transition Présidentiel (PTC) est dirigé par des Haïtiens, alors qu’il continuait à soutenir l’administration illégitime de DeFakto Conille. » Selon Foote, la véritable question demeure l’imposition de leaders qui ne sont pas légitimés par le peuple haïtien.
Sur la question de l’éventuelle dissolution du CPT pour permettre à Garry Conille de gouverner seul, Daniel Foote a tenu à clarifier qu’il n’avait pas de preuves formelles que de telles discussions étaient en cours au sein de l’administration Biden. Cependant, il a souligné l’ambiguïté et les soupçons entourant la nomination de Garry Conille.
« Je ne suis pas certain que Conille ait été imposé, mais étant donné ses relations étroites avec l’ONU, les Clinton et d’autres responsables démocrates, il est facile de voir pourquoi les États-Unis auraient encouragé un tel mouvement. » Foote a rappelé que Garry Conille, Premier ministre sous la présidence de Michel Martelly, n’avait pas laissé un souvenir impérissable parmi les Haïtiens : « Ils ont peut-être oublié qu’il a été le premier Premier ministre de Sweet Micky, mais le peuple, lui, ne l’a pas oublié. »
L’ancien envoyé spécial a également abordé la question de la sécurité, élément central de la crise haïtienne. Il a mis en lumière les faiblesses structurelles du système sécuritaire haïtien, fragilisé par trois années d’inaction sous le gouvernement d’Ariel Henry. « Trois ans durant lesquels Henry a laissé les gangs libres de leurs mouvements, sans renforcer la PNH [Police Nationale d’Haïti], ont permis aux gangs de s’imposer à un niveau de puissance tel que même les forces kényanes n’osent pas intervenir », a-t-il affirmé.
Selon Foote, la présence des forces kényanes ne suffira pas à rétablir l’ordre, et il doute que la MSS, dans sa conception actuelle, puisse avoir un impact durable. « Je serais vraiment surpris de voir des progrès sécuritaires sous la MSS menée par les Kényans, et je crains que Conille et son équipe ne sachent pas comment restaurer la sécurité. »
Au sujet de la proposition américaine de transformer la MSS en une mission de maintien de la paix sous l’égide des Nations Unies, Foote a été direct : « Insanity is doing the same thing over and over again and expecting different results », a-t-il lancé, reprenant la citation célèbre attribuée à Albert Einstein. Pour lui, une telle mission ne fera que répéter les erreurs du passé, sans répondre aux besoins réels du pays. Les missions de maintien de la paix précédentes, comme la MINUSTAH, n’ont pas réussi à renforcer durablement les capacités locales, et Foote craint que cette nouvelle tentative ne suive le même chemin.
Un autre point crucial soulevé lors de l’interview concernait l’absence d’un véritable soutien technique, matériel et technologique à la PNH et à l’armée haïtienne. Foote a déploré que les États-Unis et la communauté internationale n’aient pas pris les mesures nécessaires pour renforcer les capacités de ces institutions haïtiennes, qui sont pourtant les mieux placées pour garantir la sécurité du pays.
« Les États-Unis essaient d’abdiquer leur responsabilité de restaurer la société, plutôt que d’aider à atténuer les effets négatifs de leurs échecs politiques continus depuis 1994 », a-t-il accusé. Selon lui, la solution ne réside pas dans l’envoi de troupes étrangères ou dans la mise en place de missions internationales, mais bien dans le soutien direct aux forces locales.
Sur le plan politique, Foote a exprimé un profond pessimisme quant à la volonté réelle de la communauté internationale d’aider Haïti à sortir de la crise : « Je n’ai vu aucune volonté de la part de la communauté internationale depuis ma démission il y a trois ans, sinon ils auraient fait quelque chose de tangible d’ici là. »
Cependant, il a offert une vision claire de ce qui pourrait permettre à Haïti de sortir de l’impasse actuelle. Pour Foote, la solution passe par un dialogue national inclusif, qui permettrait aux Haïtiens de choisir eux-mêmes un gouvernement provisoire crédible, capable d’organiser des élections légitimes. « Si cela ne dépendait que de moi, j’encouragerais et renforcerais un dialogue national haïtien pour mettre en place un gouvernement provisoire crédible, choisi par les Haïtiens. Le peuple doit pouvoir avoir confiance dans ce gouvernement, pour ensuite accepter les résultats des élections. »
La question des sanctions imposées par les États-Unis à Michel Martelly a également été abordée. Accusé de trafic de drogue, de blanchiment d’argent et de soutien aux gangs, Martelly a récemment été placé sous sanctions par les autorités américaines. Pour Daniel Foote, ces sanctions sont insuffisantes : « Si Martelly a fait transiter des stupéfiants vers les États-Unis, lui et sa femme américaine devraient comparaître devant un tribunal. S’il est coupable, il devrait purger une peine sévère. » Il a également insisté sur l’importance de poursuivre les responsables politiques impliqués dans des activités criminelles, tant aux États-Unis qu’en Haïti, afin de montrer que de telles actions ne resteront pas impunies.
Le diplomate a exprimé une certaine lueur d’espoir pour l’avenir d’Haïti, malgré les nombreux défis à relever. « Haïti a un avenir radieux si les Haïtiens peuvent reprendre leur pays aux gangs sauvages et aux dirigeants désignés par la communauté internationale, et établir leur propre voie avec l’appui de la communauté des donateurs. »
Cependant, il a averti que si les mêmes erreurs sont répétées – à savoir la perpétuation de l’illégitimité politique et la dépendance à l’égard des interventions étrangères – les résultats seront les mêmes. « Si nous suivons encore la même voie, celle du PTC corrompu, de Conille et de la mission de maintien de la paix de l’ONU, nous obtiendrons des résultats similaires à ceux du passé. »
Daniel Foote a démissionné de son poste d’envoyé spécial des États-Unis en Haïti en septembre 2021, dénonçant l’approche de l’administration Biden concernant Haïti, en particulier son soutien au Premier ministre Ariel Henry après l’assassinat du président Jovenel Moïse. Dans sa lettre de démission, Foote avait également critiqué le traitement des migrants haïtiens par les autorités américaines et l’absence de progrès significatifs pour améliorer la situation en Haïti.