PORT-AU-PRINCE, mercredi 6 novembre 2024– Selon l’organisation humanitaire World Vision, un exode forcé de milliers de citoyens haïtiens de la République dominicaine a créé une crise humanitaire sans précédent le long de la frontière haïtienne. Ce sont près de 10 000 Haïtiens qui sont déportés chaque semaine dans des zones frontalières déjà en difficulté, incapables de répondre aux besoins massifs de cette population déplacée. La pression exercée par cette crise est si intense que les organisations locales, comme le Groupe d’Appui au Rapatriés et Réfugiés (GARR), sont débordées par l’afflux constant de 300 à 500 nouveaux arrivants chaque jour à Belladère, ville haïtienne proche de la frontière.
Cette situation découle d’une décision controversée des autorités dominicaines de procéder à des déportations massives, touchant aussi bien les travailleurs sans papiers que ceux possédant des documents de résidence. Ces déportations ne respectent pas toujours les accords diplomatiques et humanitaires destinés à protéger les droits fondamentaux des individus. Selon le GARR, les rapatriés sont souvent arrêtés sans ménagement, parfois en pleine nuit, et renvoyés sans possibilité de récupérer leurs effets personnels. Hommes, femmes, enfants, personnes âgées et même des femmes enceintes sont traités avec le même manque de considération, nombreux étant ceux qui se retrouvent à la frontière avec pour seuls vêtements ceux qu’ils portaient au moment de leur arrestation.
Les infrastructures du GARR, conçues pour accueillir un maximum de 50 personnes, doivent maintenant en abriter jusqu’à 350, entraînant des conditions de vie précaires et insalubres. Les installations sont rudimentaires, et l’afflux massif de rapatriés a rapidement épuisé les ressources disponibles. « Chaque soir, nous transformons notre salle de conférence en dortoir de fortune pour les hommes, mais nous n’avons que quelques couvertures en laine », a déclaré M. Rigart, coordinateur du GARR. « Les toilettes ne fonctionnent pas, et nous manquons d’un réservoir d’eau pour fournir de l’eau potable. Nos besoins sont énormes, mais nos ressources sont limitées. »
Face à cette surpopulation, les enfants séparés de leurs parents sont envoyés à Zanmi Timoun, une organisation locale spécialisée dans la protection de l’enfance, qui tente de réunir ces enfants avec leurs familles. De nombreux rapatriés, jetés à la frontière sans ressources, se retrouvent perdus loin de leurs régions d’origine et sans moyen de contacter leurs proches. Certains d’entre eux, originaires du Sud-Est d’Haïti, ont été renvoyés en plein cœur du Centre, loin de leurs familles et de leurs repères. Dépourvus d’argent, de téléphones ou de tout autre moyen de communication, ils sont livrés à eux-mêmes dans une partie inconnue de leur propre pays.
Après avoir effectué plusieurs visites sur place les 12 et 16 octobre, World Vision a dressé un état des lieux alarmant des conditions dans lesquelles les rapatriés se trouvent. L’organisation a observé un besoin pressant d’interventions humanitaires, notamment pour fournir des articles d’hygiène, de l’eau potable, des services de santé, ainsi que des aides alimentaires. Les besoins spécifiques des femmes et des nourrissons ont également été identifiés : des kits d’hygiène adaptés aux femmes, ainsi que des articles essentiels pour les nourrissons.
En réponse, World Vision a mobilisé 300 kits de biens non alimentaires (NFI) pour aider les rapatriés. Ces kits, distribués le 18 octobre 2024, contenaient des articles indispensables, comme du savon, des produits d’hygiène féminine, des couches pour bébés, ainsi que des vêtements. Un premier lot de 186 kits a été distribué directement aux rapatriés hébergés dans les centres du GARR et de Zanmi Timoun, dont 148 kits pour les adultes au GARR et 38 pour les enfants de Zanmi Timoun. Les 114 kits restants ont été confiés aux équipes du GARR pour être distribués aux nouveaux arrivants dans les jours suivants, garantissant ainsi un minimum de dignité et de confort à ceux qui arrivent dans des conditions souvent déplorables.
Ce que World Vision et les organisations locales ont observé souligne une réalité difficile : la majorité des rapatriés n’a aucun accès aux produits de base pour assurer leur dignité. De nombreux déportés n’ont même pas de brosse à dents ou de savon, et les adolescentes ainsi que les femmes manquent cruellement de produits d’hygiène intime. Quant aux nourrissons, ils n’ont ni couches ni vêtements appropriés. Les femmes enceintes, exposées aux piqûres de moustiques dans ces zones à risque, n’ont pas de moustiquaires pour se protéger, ce qui accroît les risques sanitaires dans un contexte où elles sont déjà vulnérables.
Les articles fournis par World Vision se sont révélés indispensables pour combler ces lacunes et offrir aux rapatriés un minimum de confort face aux défis de la vie en situation de déplacement. « Nous avons observé des conditions de vie particulièrement difficiles qui menacent la dignité et la sécurité des rapatriés », a rapporté un représentant de World Vision, soulignant que la priorité de l’organisation reste de garantir un soutien humain et de dignité à cette population en détresse.
La distribution des kits a été rendue possible grâce à une coordination étroite entre World Vision, le GARR, et Zanmi Timoun, qui ont collaboré pour identifier les individus les plus vulnérables, comme les femmes enceintes, les enfants, et les personnes âgées. Cette approche a permis une distribution rapide et ciblée, assurant que les ressources parviennent aux personnes les plus dans le besoin. Le même jour, l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) a aussi apporté son aide en offrant un soutien financier de 3 000 gourdes haïtiennes (HTG) aux rapatriés, leur permettant ainsi de se rapprocher de leurs familles ou de se rendre dans des régions où ils pourraient trouver du soutien.
Bien que la réponse coordonnée entre World Vision, le GARR, et Zanmi Timoun ait permis de couvrir les besoins immédiats, il subsiste de nombreux défis. La situation exige une attention accrue dans les domaines de l’eau, de l’assainissement et de l’hygiène (WASH), ainsi que des services de santé, de nutrition, et un accompagnement psychologique pour aider les rapatriés à surmonter le traumatisme de la déportation. Les rapatriés demandent également des biens essentiels supplémentaires, tels que des vêtements propres, des sous-vêtements et davantage de couches pour les nourrissons. Face à la persistance de la crise des expulsions, World Vision reconnaît qu’une réponse plus vaste et adaptable est nécessaire pour répondre aux besoins évolutifs des personnes touchées.
Selon World Vision, l’organisation et ses partenaires s’engagent à continuer leur travail pour répondre à cette crise croissante, veillant à ce que les rapatriés haïtiens reçoivent l’aide et les soins indispensables pour reconstruire leur vie dans des conditions dignes et sécuritaires.