PORT-AU-PRINCE, mercredi 18 septembre 2024 – La création récente de la Commission Vérité, Justice et Réparation survient alors qu’Haïti est plongée dans une spirale de violence orchestrée par des gangs armés qui terrorisent l’ensemble du pays. La coalition “Viv Ansanm”, l’un des principaux instigateurs de cette insécurité, revendique publiquement divers crimes : assassinats, enlèvements, incendies criminels, et destructions de biens publics et privés.
C’est dans ce climat de violence croissante, exacerbé par l’effondrement quasi total des institutions étatiques, que le gouvernement haïtien a décidé de mettre en place cette commission. Elle est composée de Gardy Maisonneuve (président), Marie Esther Félix, Renan Hédouville, Marie Élise Brisson, Gelin Ocinjac Benjamin, Marie Yanick Mézile Lhérrisson et Paul Rachel A. Cadet.
La mission principale de cette commission est de documenter les crimes commis par les gangs, d’identifier les responsables, et de proposer des réparations pour les victimes. Cette démarche s’inscrit dans un contexte où le système judiciaire haïtien est largement dysfonctionnel, miné par la corruption, et vivement critiqué pour son incapacité à rendre justice. Les magistrats, sous-financés, et les tribunaux abandonnés peinent à mener à bien les enquêtes, lesquelles se soldent rarement par des procès équitables.
Les violences orchestrées par les gangs ont des conséquences dévastatrices : des milliers de morts, des déplacements massifs de populations, et des infrastructures vitales réduites en cendres. Ces crimes se déroulent souvent avec la complicité ou l’inaction des autorités, permettant aux criminels d’agir en toute impunité. Les rapports des Nations Unies accusent plusieurs personnalités influentes, dont l’ancien président Michel Martelly, d’avoir soutenu financièrement ou indirectement certains gangs. Parmi les autres figures citées figurent des anciens premiers ministres, des ministres, des parlementaires, ainsi que des acteurs du secteur privé, qui auraient profité de cette terreur pour consolider leur pouvoir et protéger leurs intérêts.
Malgré son annonce, la Commission Vérité, Justice et Réparation devra relever de nombreux défis pour accomplir sa mission. Elle devra affronter la corruption enracinée dans les institutions, la collusion entre les élites politiques et économiques avec les gangs, ainsi qu’un climat d’impunité généralisée.
Pour espérer réussir, cette commission devra impérativement fonctionner en toute indépendance et transparence, dans un pays où la justice a longtemps été reléguée au second plan.
La situation chaotique en Haïti résulte de plusieurs décennies de mauvaise gestion, de corruption et d’abus de pouvoir à tous les niveaux de la société. La montée en puissance des gangs n’est pas un phénomène isolé, mais le symptôme d’un système gangrené, où la collusion entre criminels et élites est devenue une norme.
Pour les victimes de cette violence et pour la population, désillusionnée par l’incapacité de l’État, cette commission pourrait représenter un premier pas vers la justice. Toutefois, sans réformes profondes du système judiciaire et une rupture totale avec les pratiques corrompues du passé, ses chances de succès restent incertaines.
Pierre Espérance, directeur exécutif du Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH), a sévèrement critiqué la mise en place de cette commission, dénonçant l’absence de consultation avec les organisations de défense des droits humains qui travaillent aux côtés des victimes.
« Nous ne reconnaissons pas cette commission, dont certains membres n’ont aucun lien avec les victimes des violences des gangs. Que peut-on espérer d’individus qui ont encouragé l’impunité et entretenu des relations avec des structures politiques ayant soutenu les gangs armés, responsables de tant d’exactions ? » a déclaré Espérance.
Il a également souligné que la création de cette commission révèle le manque de leadership du Conseil Présidentiel de Transition (CPT) et l’opacité entourant ses actions. Selon lui, l’actuelle transition ne rassure pas et laisse présager qu’une véritable rupture avec le passé est encore loin, à moins que des correctifs immédiats ne soient apportés.
“Bien que la commission soit prévue dans l’accord du 3 avril 2024, cela ne donne pas au CPT le droit d’agir unilatéralement, surtout alors que d’autres entités comme le Conseil National de Sécurité ou l’Organe de Contrôle de l’Action Gouvernementale (OCAG) n’ont pas encore été mises en place’” a souligné Pierre Espérances.