CPJ préoccupé par une action en justice intentée par un fabricant de rhum haïtien contre le rédacteur en chef de AyiboPost pour « diffamation criminelle » …

Widlore Merancourt, journaliste/Ayibopost....

MIAMI, dimanche 8 octobre 2023– Le Comité pour la protection des journalistes (CPJ) s’est dit préoccupé par la poursuite pénale en diffamation intentée par le propriétaire de la société de Rhum Barbancourt contre le site d’information indépendant AyiboPost et son rédacteur en chef, Widlore Mérancourt.

Le CPJ rappelle que le 14 septembre, les avocats de Delphine Gardère, propriétaire et PDG de Barbancourt, ont intenté une action en justice contre AyiboPost et Mérancourt devant le tribunal de première instance de Port-au-Prince, la capitale, alléguant qu’un article d’AyiboPost du 7 juin rédigé par Mérancourt sur l’entreprise a formulé des allégations diffamatoires sur l’élection de Gardère à la présidence de la Chambre franco-haïtienne de commerce et d’industrie.

« Nous sommes gravement préoccupés par l’attaque judiciaire apparemment punitive lancée par Barbancourt contre l’AyiboPost et son rédacteur en chef, Widlore Mérancourt. Lancer des accusations contre un journaliste respecté afin de discréditer son travail est un comportement profondément préoccupant de la part de l’une des plus grandes entreprises d’Haïti », a déclaré Cristina Zahar, coordinatrice du programme du CPJ pour l’Amérique latine et les Caraïbes, à São Paulo. « Les autorités judiciaires haïtiennes devraient protéger les journalistes, qui travaillent déjà dans un environnement de sécurité précaire, et le gouvernement devrait abroger les lois pénales draconiennes sur la diffamation. »

‘‘Le procès, consulté par le CPJ, cite le code pénal haïtien, la loi sur la presse de 1929 et le décret de juillet 1986 sur la presse et la répression des délits de presse. Le procès demande une peine de trois ans d’emprisonnement, plus une amende de 500 gourdes (4 dollars américains) et 10 000 dollars de frais de justice, à payer en dollars américains.’’

‘‘Conformément à l’article 28 du code pénal haïtien, elle vise également à interdire à Mérancourt d’exercer ses droits politiques et civils pendant cinq ans, ce qui comprendrait le droit de voter ou de se présenter aux élections et le port d’armes’’, estime le CPJ.

Dans le cadre de cette affaire, Mérancourt qui est également correspondant du Washington Post, est accusé d’avoir utilisé de « fausses références journalistiques ». Il affirme également que AyiboPost n’est pas une société de médias légalement enregistrée en vertu de la loi haïtienne et que, par conséquent, ni Mérancourt ni le média ne sont protégés par la Constitution haïtienne de 1987, qui reconnaît le droit des journalistes de ne pas révéler leurs sources.

Dans un courriel envoyé au CPJ par son cabinet de relations publiques, Gardère a affirmé qu’il y avait des inexactitudes dans l’article, notamment dans la description par AyiboPost d’un différend personnel avec sa mère au sujet des finances familiales, qui a ensuite été résolu, lit-on dans un communiqué du CPJ.

L’avocat d’AyiboPost, Samuel Madistin, a déclaré par téléphone au CPJ que le procès était « une attaque inacceptable contre la liberté d’expression, qui est le fondement de toute société démocratique ».

Madistin a déclaré que la loi haïtienne n’exige pas que les journalistes ou les médias en ligne s’enregistrent auprès de l’État. “Le refus de révéler ses sources ne peut être assimilé à un délit de presse, encore moins à une diffamation”, a-t-il déclaré.

Avant la publication de l’article, AyiboPost a décliné la demande de Gardère de réviser une ébauche de l’article et de découvrir qui en étaient les sources, selon les courriels examinés par le CPJ.

« Barbancourt est l’une des entreprises les plus prospères d’Haïti, produisant une marque de rhum de haute qualité reconnue dans le monde entier. Gardère est l’unique propriétaire de l’entreprise après avoir pris le contrôle de l’entreprise familiale lors d’une bataille successorale controversée en juin », rapporte le CPJ.

Selon le CPJ, ‘‘de riches entreprises telles que Barbancourt jouissent d’une énorme influence en Haïti, notamment en raison de la forte dépendance des médias locaux à l’égard des revenus publicitaires. Le système juridique haïtien est fréquemment utilisé par les entreprises et les familles fortunées, ainsi que par le gouvernement, pour faire taire les critiques.’’

L’organisation souligne également que ‘‘les médias haïtiens sont particulièrement vulnérables dans un pays qui n’a pas eu de gouvernement élu depuis plus de deux ans, le Premier ministre gouvernant par décret. La situation actuelle est aggravée par l’effondrement du contrôle gouvernemental dans de grandes parties de Port-au-Prince, qui sont tombées aux mains des gangs.’’

‘‘Dans un ultime effort pour restaurer la sécurité, le Conseil de sécurité des Nations Unies a approuvé le 2 octobre une résolution prévoyant l’envoi d’une force de police internationale dans le pays pour un an, ajoute le CPJ.

Mérancourt n’a été informé d’aucune date d’audience pour entendre la plainte de Gardère, precise le communiqué du CPJ.