“Changer la Constitution est-elle une aberration ?”- Sonet Saint-Louis…

Sonet Saint-Louis, Avocat

PORT-AU-PRINCE, vendredi 14 février 2025La question de la révision constitutionnelle en Haïti est un sujet épineux qui divise les opinions. Depuis son adoption en 1987, la Constitution haïtienne a été le socle de l’organisation politique et juridique du pays. Pourtant, nombreuses sont les voix qui s’élèvent en faveur de sa suppression ou de sa refonte, invoquant ses imprécisions et contradictions. Selon Me Sonet Saint-Louis, « le rapport du Groupe de travail sur la révision constitutionnelle n’a fait qu’effleurer les véritables enjeux de cette révision, sans saisir les dangers que cela implique » (Me Sonet Saint-Louis).

En 1995, la professeure de droit constitutionnel, Dr Mirlande H. Manigat, soulignait déjà les lacunes du texte de 1987, plaidant pour une révision sérieuse afin de clarifier les ambiguïtés qu’il contenait. Toutefois, une révision ne signifie pas nécessairement une suppression pure et simple. La Constitution de 1987, bien qu’imparfaite, demeure un texte fondateur issu d’un consensus populaire. De nombreux chefs d’État haïtiens, dont René Préval et Jovenel Moïse, ont dénoncé son caractère instable, sans pour autant proposer une alternative solide respectant les aspirations nationales.

Les premiers amendements de cette constitution ont été opérés en 2011 sous l’administration de René Préval. Cependant, loin d’améliorer le fonctionnement des institutions, ces modifications ont renforcé le pouvoir oligarchique en Haïti. L’exclusion du peuple des instances décisionnelles, notamment à travers la suppression du rôle des Assemblées départementales dans la formation du Conseil électoral provisoire, illustre cette volonté des élites de concentrer le pouvoir entre leurs mains. Selon Me Sonet Saint-Louis, « l’histoire nous a montré que les amendements opérés n’ont fait qu’accroître le fossé entre le peuple et les élites au pouvoir » (Me Sonet Saint-Louis). Cette dynamique, qui se poursuit aujourd’hui, marginalise davantage la population et creuse le fossé entre gouvernants et gouvernés.

Une constitution doit répondre aux besoins du peuple et être appliquée avec rigueur. Pourtant, comme le rappelle Me Sonet Saint-Louis, « aucune loi, aussi bonne soit-elle, n’a été convenablement appliquée en Haïti depuis son indépendance. » (Me Sonet Saint-Louis). La défaillance ne réside donc pas uniquement dans le texte lui-même, mais dans l’incapacité des élites dirigeantes à gouverner dans le respect du droit et de l’intérêt général. En moins de trois décennies, le pays a connu trois interventions militaires étrangères, témoignant de la faillite de son système politique. Cette situation alarmante ne justifie pas pour autant la suppression de la Constitution de 1987, mais plutôt une refonte réfléchie et adaptée aux réalités nationales.

L’histoire haïtienne est jalonnée de multiples constitutions, au nombre de vingt-trois en seulement deux siècles. Cette prolifération illustre le refus des élites haïtiennes d’adhérer à une stabilité juridique et politique. « Peut-on donner des lois à des élites qui ne les veulent pas et ne les respectent pas ? », s’interroge Me Saint-Louis. « Ce mépris du droit est un frein à toute avancée démocratique et institutionnelle » (Me Sonet Saint-Louis). Tant que l’éducation et la formation politique ne seront pas mises au centre des préoccupations, toute nouvelle constitution risque de subir le même sort que ses prédécesseures : être ignorée et violée.

La Constitution de 1987, en instaurant un régime parlementaire, visait à limiter les abus du pouvoir exécutif, longtemps dominant dans l’histoire du pays. Contrairement aux accusations portées contre elle, elle n’a pas affaibli la présidence mais l’a encadrée par les principes de l’État de droit. Le débat sur son remplacement repose souvent sur des arguments fallacieux qui ignorent sa véritable portée. Les tentatives de suppression du texte constitutionnel actuel sont orchestrées par les mêmes élites qui, depuis trois décennies, se sont enrichies sur le dos de la nation.

Le rapport du Groupe de travail sur la révision constitutionnelle souffre d’une méconnaissance du régime politique défini par la Constitution de 1987. En rejetant ce texte sous prétexte qu’il crée un déséquilibre entre les pouvoirs, les réformateurs oublient que cet équilibre repose sur une nécessaire séparation des pouvoirs et une collaboration entre les institutions. Plutôt que de proposer des ajustements mesurés, ils prônent une refonte radicale qui mettrait en péril la démocratie haïtienne en livrant davantage le pouvoir aux mains d’une élite corrompue. Selon Me Sonet Saint-Louis, « une refonte radicale reviendrait à abandonner les principes démocratiques de séparation des pouvoirs et à remettre le pays entre les mains d’une oligarchie » (Me Sonet Saint-Louis).

Une véritable réforme constitutionnelle doit s’appuyer sur une analyse rigoureuse et scientifique, prenant en compte les réalités haïtiennes et les aspirations du peuple. La modernisation du droit ne signifie pas son occidentalisation. Il est impératif que toute réforme soit entreprise avec sérieux et non dictée par des intérêts particuliers. Comme le souligne Me Saint-Louis, « une nouvelle constitution ne sera d’aucune utilité si elle est élaborée par ceux-là mêmes qui ont toujours contourné la loi pour servir leurs ambitions personnelles » (Me Sonet Saint-Louis).

En conclusion, la suppression de la Constitution de 1987 n’est pas une solution viable aux problèmes d’Haïti. Plutôt que de jeter ce texte fondateur aux oubliettes, il convient de l’améliorer en tenant compte des erreurs du passé et des défis actuels. Une constitution n’est pas un simple document juridique, c’est le reflet des aspirations d’une nation. Tant que les élites dirigeantes continueront à mépriser le droit et à privilégier leurs intérêts au détriment de la collectivité, aucune réforme, aussi ambitieuse soit-elle, ne pourra sortir Haïti de l’impasse.

Les débats autour de la Constitution haïtienne de 1987 révèlent une question fondamentale : comment adapter un cadre institutionnel aux réalités spécifiques d’un peuple et d’une nation ? Comme le souligne Me Sonet Saint-Louis, « chaque texte constitutionnel s’inscrit dans une rationalité propre à l’histoire, à la culture et aux enjeux politiques du pays qui l’adopte » (Me Sonet Saint-Louis). Ainsi, il est essentiel de replacer l’élaboration de la Constitution de 1987 dans son contexte, de comprendre les raisons de son adoption et d’évaluer les tentatives de réforme à l’aune des besoins réels de la société haïtienne.

L’histoire constitutionnelle haïtienne est marquée par l’instabilité et l’ingérence. L’adoption de la Constitution de 1987 répondait à la nécessité de rompre avec trois décennies d’autoritarisme et d’établir des garde-fous contre la tentation dictatoriale. Comme l’évoque Montesquieu, « chaque nation possède son fond naturel », et ce fond naturel doit être pris en compte dans la structuration du pouvoir. La mise en place de l’exécutif bicéphale, par exemple, visait précisément à éviter la concentration du pouvoir entre les mains d’un seul individu, en réponse aux excès du régime précédent.

Or, l’évolution politique des dernières décennies montre une résistance persistante à ces mécanismes de contre-pouvoir. La tentation de la centralisation du pouvoir est une constante, et les tentatives répétées de révision constitutionnelle sont souvent motivées par des intérêts politiques immédiats plutôt que par une réflexion approfondie sur la gouvernance. Comme l’indique Albert Camus, « un gouvernant est celui qui s’empêche, qui se limite », mais l’histoire récente d’Haïti témoigne du contraire : les dirigeants successifs ont souvent cherché à contourner ou affaiblir les institutions au lieu de les renforcer.

L’un des arguments avancés pour justifier une refonte constitutionnelle est la supposée inefficacité du Parlement et des institutions actuelles. Toutefois, la suppression du Sénat ou la réduction du nombre de représentants municipaux, comme le propose le groupe de travail sur la Constitution, ne résout en rien les problèmes structurels de gouvernance. Comme le rappelle Sonet Saint-Louis, « une démocratie digne de ce nom ne doit-elle pas se donner des moyens ? » (Me Sonet Saint-Louis). Réduire les institutions sous prétexte de coût ou d’efficacité sans garantir de meilleures conditions de gouvernance risque plutôt d’affaiblir la démocratie.

Le modèle français, qui semble inspirer certaines propositions de réforme, repose sur une tradition politique et administrative bien différente. En voulant calquer certaines institutions françaises sans tenir compte du contexte haïtien, les réformateurs actuels prennent le risque d’imposer des structures inadaptées. Comme l’affirme Me Saint-Louis, « il y a une différence fondamentale entre adapter un modèle et le copier servilement. Je déteste la servilité ! » (Me Sonet Saint-Louis), dénonçant l’incapacité des élites haïtiennes à développer une vision propre à la nation.

Au-delà des considérations institutionnelles, la question de l’État de droit demeure essentielle. Une constitution n’a de valeur que si elle est respectée par ceux qui sont censés l’appliquer. Or, l’histoire récente démontre que le véritable problème n’est pas tant le texte constitutionnel lui-même que le mépris des dirigeants pour les règles établies. Comme le souligne Leslie Manigat, « la question qui se pose est la suivante : sait-il comment les exercer ? » Il ne suffit pas d’avoir des institutions bien conçues, encore faut-il qu’elles soient mises en œuvre par des acteurs politiques responsables et compétents.

Dès lors, quelle serait la meilleure voie à suivre ? Plutôt qu’une refonte radicale et précipitée de la Constitution de 1987, il serait plus judicieux d’opter pour une révision progressive et ciblée, prenant en compte les évolutions de la société et les défis actuels. L’exemple des États-Unis montre qu’une constitution peut évoluer tout en préservant ses principes fondamentaux. Vingt-trois constitutions en deux siècles d’histoire haïtienne témoignent d’un problème récurrent de gouvernance, et non d’un simple problème de texte constitutionnel.

L’enjeu est donc avant tout politique et éducatif. L’éducation des élites, la formation d’une classe dirigeante consciente des exigences démocratiques et soucieuse du bien-être général, sont des étapes indispensables pour la pérennité des institutions et la stabilité du pays. La révision de la Constitution doit ainsi être envisagée non comme une fin en soi, mais comme un moyen de renforcer l’État de droit et de garantir un avenir plus juste et équitable pour le peuple haïtien.

 

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