PORT-AU-PRINCE, lundi 1e avril 2024– Près de cinq millions d’Haïtiens souffrent de la faim et ont besoin d’une aide alimentaire, selon des chiffres récents de l’ONU, une situation aggravée par la violence et l’insécurité causées par des gangs rivaux lourdement armés opérant principalement dans la capitale, Port-au-Prince. Dans ce contexte, comment faire en sorte que les personnes affectées aient suffisamment à manger, maintenant et à l’avenir ?
Les gangs contrôleraient jusqu’à 90% de la capitale, ce qui suscite des inquiétudes quant au fait que la faim soit utilisée comme une arme pour contraindre les populations locales et exercer une influence sur les groupes armés rivaux.
Les gangs contrôlent les principales routes menant aux zones agricoles du nord et du sud d’Haïti et ont perturbé l’approvisionnement en biens, notamment alimentaires.
Ceci dans un pays dont la population est majoritairement rurale et dont certains pensent qu’elle pourrait être autosuffisante en matière alimentaire.
Alors, qu’est-ce qui ne va pas ?
Voici cinq choses que vous devez savoir sur la situation actuelle de la sécurité alimentaire en Haïti :
Il y a environ 11 millions d’habitants en Haïti, et selon la plus récente analyse de la sécurité alimentaire dans le pays, soutenue par l’ONU, environ 4,97 millions, soit près de la moitié de la population, a besoin d’une forme d’assistance alimentaire.
Environ 1,64 million de personnes sont confrontées à des niveaux d’insécurité alimentaire aiguë d’urgence.
Les enfants sont particulièrement touchés, avec une augmentation alarmante de 19% du nombre d’enfants souffrant de malnutrition aiguë sévère en 2024.
Sur une note plus positive, les 19.000 personnes qui, en février 2023, étaient confrontées à la faim dans un quartier vulnérable de Port-au-Prince ont été retirées de la liste d’alerte.
La Directrice générale du Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF), Catherine Russell, a souligné que « la crise actuelle de la malnutrition est entièrement d’origine humaine ».
Les principaux facteurs de l’insécurité alimentaire actuelle sont l’augmentation de la violence des gangs, la hausse des prix et la faible production agricole, ainsi que les troubles politiques, les troubles civils, la pauvreté écrasante et les catastrophes naturelles.
On estime que 362.000 personnes sont désormais déplacées à l’intérieur du pays et ont des difficultés à se nourrir. Quelque 17.000 personnes ont fui Port-au-Prince pour se rendre dans des régions plus sûres du pays, abandonnant derrière elles leurs moyens de subsistance et réduisant encore davantage leur capacité à acheter de la nourriture alors que les prix continuent d’augmenter.
Selon le Groupe d’experts sur Haïti mandaté par le Conseil de sécurité des Nations Unies, les gangs « menacent directement et indirectement la sécurité alimentaire du pays ».
L’escalade de la violence a entraîné un crise économique, une hausse des prix et une pauvreté exacerbée. Les gangs ont perturbé l’approvisionnement alimentaire en bloquant parfois l’économie par leurs menaces envers la population et par l’érection de nombreux barrages routiers, connus localement sous le nom de peyi lok et considérés comme un stratagème délibéré et efficace pour étouffer toute activité économique.
Ils ont également bloqué des voies de transport clés et prélevé des taxes officieuses et exorbitantes sur les véhicules qui tentent de circuler entre la capitale et les zones agricoles productives.
Dans un cas, un chef de gang de l’Artibonite, la principale région rizicole du pays et un foyer relativement nouveau d’activités de gangs, a proféré de multiples menaces sur les réseaux sociaux, avertissant que toute personne retournant dans ses champs agricoles serait tuée. Le Programme alimentaire mondial (PAM) a signalé en 2022 une diminution notable des terres cultivées dans l’Artibonite.
Parallèlement, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) indique qu’en 2023, la production agricole a chuté d’environ 39% pour le maïs, 34% pour le riz et 22% pour le sorgho par rapport à la moyenne quinquennale.
Même si la crise alimentaire actuelle en Haïti a été exacerbée par le contrôle qu’exercent les gangs sur l’économie et la vie quotidienne du pays, elle trouve ses racines dans des décennies de sous-développement ainsi que dans des crises politiques et économiques.
La déforestation, en partie due à la pauvreté, et les catastrophes naturelles comme les inondations, les sécheresses et les tremblements de terre ont également contribué à l’insécurité alimentaire.
Les politiques de libéralisation des échanges introduites dans les années 1980 ont considérablement réduit les taxes à l’importation sur les produits agricoles, notamment le riz, le maïs et les bananes, compromettant ainsi la compétitivité et la viabilité des aliments produits localement.
La réponse humanitaire de l’ONU se poursuit en Haïti en coordination avec les autorités nationales, malgré la situation tendue et volatile sur le terrain, notamment à Port-au-Prince.
L’une des principales activités liées à l’alimentation est la distribution de repas chauds aux personnes déplacées, de nourriture et d’argent à ceux qui en ont besoin et de déjeuners aux écoliers. En mars, le PAM a déclaré avoir aidé plus de 460.000 personnes dans la capitale et à travers le pays grâce à ces programmes. L’UNICEF a également fourni une assistance, notamment des repas scolaires.
La FAO a une longue tradition de collaboration avec les agriculteurs et a fourni un soutien essentiel pour les prochaines saisons de plantation, notamment des transferts monétaires, des semences de légumes et des outils afin de soutenir les moyens de subsistance agricoles.
L’agence des Nations Unies continue également de soutenir les politiques agricoles nationales dirigées par les Haïtiens et la mise en œuvre de programmes de développement.
En fin de compte, l’objectif, comme dans tout pays sous-développé en crise, est de trouver la voie vers un développement durable à long terme qui passera notamment par la construction de systèmes alimentaires résilients. C’est une situation compliquée dans un pays si dépendant de l’aide humanitaire fournie par l’ONU et d’autres organisations.
L’objectif est de réduire la dépendance alimentaire à l’égard des importations et de lier les réponses humanitaires à une action à long terme en matière de sécurité alimentaire.
Ainsi, par exemple, le programme d’alimentation scolaire du PAM, qui fournit des déjeuners aux élèves, s’engage à acheter tous ses ingrédients localement plutôt que de les importer, une initiative qui soutiendra et encouragera les agriculteurs à cultiver et vendre des cultures, ce qui améliorera leurs moyens de subsistance et, en retour, stimulera l’économie locale.
L’Organisation internationale du Travail (OIT) a travaillé avec les agriculteurs du sud-ouest du pays pour cultiver des fruits à pain hautement nutritifs. Environ 15 tonnes de farine ont été moulues, dont une partie alimente les programmes du PAM.
L’OIT a également soutenu les producteurs de cacao qui ont exporté 25 tonnes de cette denrée précieuse en 2023.
Les deux initiatives augmenteront les revenus des agriculteurs et amélioreront leur sécurité alimentaire et, selon le chef pays de l’OIT, Fabrice Leclercq, contribueront à « freiner l’exode rural ».La plupart des observateurs conviennent cependant que sans la paix et une société stable et sûre, il y a peu de chances qu’Haïti puisse réduire considérablement sa dépendance à l’égard de l’aide extérieure tout en garantissant que les Haïtiens aient suffisamment à manger.