En collaboration avec JRE,
CAP-HAITIEN, dimanche 15 mai 2022– A part les pannes d’électricité en permanence, la bidonvilisation accélérée, les rues défoncées et les embouteillages monstres, la ville du Cap-Haitien, est confrontée à un sévère problème d’insalubrité qui suscite peur et inquiétude chez de nombreux capois.
Cap-Haïtien qui, jadis, était une destination touristique très prisée pour ses monuments historiques et ses sites touristiques, a toujours joui d’une réputation de ville propre et hospitalière.
Au charme de la ville, s’ajoutait également une population fière, souriante et laborieuse.
Deuxième ville du pays, Cap-Haïtien a toujours été considéré comme la capitale historique et touristique d’Haïti.
Cependant, depuis quelques décennies, tout cela semble appartenir à l’histoire- l’histoire ancienne diraient certains.
Lentement, mais certainement, Cap-Haïtien qui fut aussi la capitale du Royaume du Nord du Roi bâtisseur, Henri 1e est en train de devenir, sous les regards passifs des uns et des autres, une ville poubelle, se classant parmi les villes les plus sales d’Haïti.
Un vaste marché public
Au début des années 80, Cap-Haïtien a commencé à recevoir massivement des vagues successives de paysans venus des communes avoisinantes, sans compter ceux qui viennent des départements du Nord-Est, du Nord-Ouest, de l’Artibonite, du Plateau central de l’Ouest et du Sud entre autres.
Certains venaient pour accompagner leurs enfants pendant leur scolarité, le pays étant dépourvu d’écoles secondaires de qualité et en nombre suffisant pour absorber la quantité de jeunes écoliers qui viennent de boucler leur cycle primaire.
D’autres, fuyant la misère, étaient venus pour chercher du travail ou démarrer un petit commerce.
L’arrivée massive de ces gens, a contribué à provoquer, au fil du temps, une explosion démographie dans cette ville côtière qui conserve encore ses rues particulièrement étroites, tracées depuis l’époque coloniales. Et, depuis la chute de la dictature, la ville s’est progressivement transformée en un vaste marché public-un marché public aux infrastructures désuètes et totalement dépourvu de poubelle.
La surpopulation n’est pas la seule cause de la crise de l’assainissement au Cap-Haïtien. La Mairie est en bute a de graves difficultés, généralement aggravées par l’incompétence des autorités municipalisé et de leur méconnaissance de leurs fonctions.
« Il n’y a plus de quartiers huppés. Notre ville est transformée en bidonville. On ne différencie plus les beaux quartiers des quartiers populaires », se lamente Julmice Désinor, 39 ans, ingénieur de formation, originaire du Cap-Haïtien, affirmant que c’est la première fois que sa ville a connu une telle descente.
Toutes les rues ou presque, sont devenus des espaces où de petits commerçants qui vivent de la débrouille, étalent leurs marchandises dans une ville désorganisée et où règnent le bruit des klaxons de motocyclettes et de véhicules, les embouteillages sur les principales artères, les trous, la violence verbale des chauffeurs de taxi moto et de véhicules qui se disputent le passage.
La surpopulation de la ville est en partie responsable de son insalubrité. Estimée a plus de cinq-cents mille (500,000) habitants, la ville produit des tonnes de fatras dont elle n’a pas la capacité de gérer.
Les infrastructures de la ville sont désuètes et les moyens dont dispose la Mairie sous-équipée de Cap-Haïtien, sont tout simplement rudimentaires.
Les résidents n’ont pas de poubelle. La ville elle-même n’a pas de poubelle.La collecte et la gestion des déchets deviennent une tache particulièrement ardue. Ce qui traduit une absence de politique de gestion des déchets. Conséquence, des montagnes de fatras s’érigent un peu partout dans la ville devenue une décharge à ciel ouvert où se dégage de la mauvaise odeur et des parasites qui circulent dans l’air.
Il en résulte que, les rues sont couvertes de détritus. Certaines rues sont littéralement barricadées avec les fatras qui s’amoncèlent. Dans ces rues, la circulation automobile, voire des motocyclettes, est impossible.
Les capois ont pris la fâcheuse habitude de jeter dans la rue tout ce dont ils veulent se débarrasser.
Julmice Désinor estime que ceux qui sont à la Mairie ne connaissent pas leur rôle et leurs responsabilités vis-à-vis des citoyens. Il admet, toutefois que les citoyens ne font pas preuve de civisme et de responsabilité.
Exaspéré par cette ambiance jugée intenable, Désinor déclare envisager de se déménager pour s’établir dans une commune avoisinante. Il espère poursuivre ses activités professionnelles entre son prochain nouveau lieu de résidence et la ville du Cap-Haïtien.
Une ville enlaidie
Au désordre généralisé et la saleté qui affectent affreusement l’image de la ville, s’ajoute l’enlaidissement. Des affiches publicitaires envahissent les murs des maisons des résidents où la Mairie ne fait aucune exigence pour que les devantures des propriétés bâties restent propres.
La municipalité du Cap-Haïtien ne manifeste aucun souci pour l’esthétique de la ville. Où est passe la fierté capoise ?
Cette ville qui est ceinturée par des constructions anarchiques, dispose de très peu d’espace vert. Dans certains quartiers populaires tout comme au bord de mer, à l’est de la ville, généralement appelé ‘‘Lotbo Pon’’ (de l’autre côté du pont), il n’est pas rare de voir des cochons déambuler dans les rues sous le regard impassible des capois.
Depuis que des maisons situées dans cette zone ont été rasées littéralement et que rien n’y a été construit, il y a environ dix ans, ce quartier du bord de mer, est devenu une véritable décharge publique à ciel ouvert où sont déversées sans ménagement toutes sortes de déchets ménagers, débris de constructions et carcasses de véhicules entre autres.
Pour Julmice Désinor, ce qui est en train de se passer, est à la fois un désastre écologique et environnemental qui menace la survie de la population capoise, arguant que si rien n’est fait, les conséquences pourront être incalculables.
Il dit déplorer que les notions « Etat et autorité de l’Etat » n’existent que de nom en Haïti. Julmice Désinor croit que les capois devraient intenter une action en justice contre l’Etat, particulièrement la Mairie du Cap-Haïtien pour légèreté, irresponsabilité et pour avoir exposé toute une population au danger de toutes sortes en raison de l’état d’insalubrité de la ville.
Dans certains quartiers, les résidents ont dû recourir au service de particuliers pour les aider a se débarrasser de leurs déchets. Ces particuliers qui sous-traitent directement avec les résidents, rejettent les déchets n’importe où, parfois dans l’océan, rapportent certains témoins.
Ces derniers temps, certains résidents ont pris l’initiative de collecter de l’argent afin de tenter de juguler le problème de l’insalubrité.
Cependant, aussi louables qu’elles soient, ces initiatives citoyennes ne permettront pas de combattre efficacement l’insalubrité une ville qui s’écroule sous le poids des détritus sans une politique publique d’assainissement, de préservation et de protection des espaces urbains.
Cela ne sera possible que si, dotée d’autorités municipales compétentes et éclairées, la Mairie dispose de moyens nécessaires pour ramasser, trier, détruire dans un lieu aménagé à cet effet et recycler quelques fois les montagnes de détritus produits quotidiennement.
Si la ville n’est pas confrontée jusqu’ici à la violence et l’insécurité criminelle grandissante, elle est quand même exposée à une autre forme d’insécurité liée à l’insalubrité, à la dégradation de l’environnement et à la carence sanitaire.
Il a été promis de faire de la Mairie de Cap-Haïtien, la Mairie la plus équipée du pays à l’occasion de la célébration des 350 ans de la ville en août 2020.
Malgré son histoire extrêmement riche et ses atouts touristiques, la ville du Cap a encore du mal à décoller et les perspectives d’un retour sur la carte touristique mondiale, à part Labadie, demeurent sombres.
Assainir et tenir propre leur ville, demeure aujourd’hui l’un des plus grands défis des capois en plein 21e siècle.