Burkina Faso : le capitaine Traoré face à l’épreuve de la gouvernance et du développement…

Ibrahim Traore, President du Burkina Faso...

OUAGADOUGOU, 24 avril 2025– Entré en fonction en septembre 2022 à l’âge de 36 ans à l’issue d’un coup d’État contre le lieutenant-colonel Paul-Henri Damiba, le capitaine Ibrahim Traoré est devenu le chef d’État le plus jeune au monde. Son accession au pouvoir a été perçue par une large partie de la population comme un espoir de rupture avec le passé, mais elle soulève aujourd’hui plus de questions qu’elle n’apporte de réponses sur la capacité de son régime militaire à conduire durablement le Burkina Faso vers la stabilité et le progrès.

Dès son discours inaugural, Traoré avait dressé un constat d’urgence sanitaire, sécuritaire et infrastructurel. Il s’était engagé à respecter le calendrier de transition convenu avec la CEDEAO, qui prévoyait un retour à l’ordre démocratique pour le 1er juillet 2024. Toutefois, le retrait précipité du Burkina Faso de la CEDEAO au profit de l’Alliance des États du Sahel aux côtés du Mali et du Niger a fait voler en éclats ce calendrier. L’actuel plan de transition autorise désormais Traoré à demeurer à la tête de l’État jusqu’en 2029, plongeant le pays dans une incertitude institutionnelle que rien ne semble aujourd’hui clarifier.

Malgré une instabilité née de plusieurs tentatives de putsch et d’une insécurité grandissante dans le Sahel, le capitaine jouit d’une popularité sans précédent. À la cérémonie d’investiture du président ghanéen John Mahama le 7 janvier dernier, il a reçu l’ovation la plus longue parmi les vingt et un chefs d’État africains présents, symbolisant l’adhésion massive d’une jeunesse avide de changements radicaux. Selon un sondage Afrobarometer, près de deux tiers des Burkinabé estiment que l’armée doit pouvoir intervenir lorsque les dirigeants abusent de leur pouvoir, et 66 % approuvent désormais la gouvernance militaire, contre seulement 24 % en 2012.

Fort de ce crédit populaire, Traoré a lancé des mesures économiques emblématiques. Il a nationalisé deux des principaux sites aurifères et mis fin à l’exportation de l’or brut, inaugurant une raffinerie nationale dont la capacité de traitement est estimée à 150 tonnes par an. En parallèle, il a renoncé à sa solde de capitaine pour conserver ses revenus militaires, tout en annulant la récente augmentation de traitement accordée aux hauts fonctionnaires. Il a également promu la création d’un Centre national de soutien à la transformation du coton artisanal, investi dans la construction d’un nouvel aéroport et multiplié les allocations budgétaires en faveur de l’agriculture.

Ces réformes sont perçues comme autant de tentatives de donner corps au slogan de souveraineté économique et de rupture avec les conditionnalités financières des institutions internationales. Refusant toute assistance de la Banque mondiale et du FMI, Traoré veut démontrer qu’un pays africain peut se développer hors des sentiers battus de l’aide occidentale. Chez les plus jeunes, cet acte de défi est salué comme une preuve de maturité politique et d’ambition collective. Toutefois, l’essentiel du peuple burkinabé attend avant tout une amélioration tangible de ses conditions de vie quotidiennes.

Sur le plan socio-économique, le Burkina Faso présente un visage contrasté. Riche en ressources minières – or, zinc, cuivre, manganèse, phosphate, et potentiellement diamants, bauxite, nickel et vanadium –, le pays reste classé 185e sur 193 à l’Indice de développement humain et près de 65 % de la population vit dans la pauvreté multidimensionnelle. Malgré une croissance du PIB de 3,2 milliards de dollars en 1990 à 18,3 milliards en 2023 et la réduction de l’extrême pauvreté de 83 % à 27,7 % sur la même période, les gains restent fragiles et inégalement répartis.

Le rapport 2025 de l’ISS sur les perspectives économiques du pays table néanmoins sur une croissance moyenne de 8 % par an entre 2025 et 2043. Ce scénario ambitieux pourrait générer un supplément de revenu par habitant de 1 120 dollars et ramener l’incidence de la pauvreté à 2,6 % de la population, soit près de 2,4 millions de Burkinabé sortis de la misère. Pour concrétiser ces prévisions, l’étude insiste sur la nécessité de réformes de gouvernance profondes : renforcement des institutions, lutte contre la corruption, modernisation de l’administration publique et décentralisation effective des ressources vers les collectivités locales.

Or, l’urgence sécuritaire reste la première des priorités. Les violences terroristes ont privé l’État de près de 40 % de son territoire, fermé des milliers d’écoles et de centres de santé, et contraint plus de deux millions de personnes à devenir déplacées internes. Le besoin d’une restauration rapide de l’autorité de l’État dans ces zones, la réouverture des services de base et la sécurisation des populations constituent un préalable pour tout renouveau économique.

À moyen et long terme, la transition vers un régime constitutionnel est un impératif pour asseoir la légitimité, attirer l’investissement étranger et favoriser la confiance des partenaires internationaux. L’ISS recommande le soutien actif de l’Union africaine, de la société civile et des bailleurs de fonds à un plan de 60 mois, afin de garantir une passation de pouvoir ordonnée et évitant les dérives autoritaires. Car l’histoire africaine offre de nombreux exemples de leaders charismatiques dont les débuts furent louangés, avant qu’ils ne s’enlisent dans la durée. Jerry Rawlings, « Junior Jésus » du Ghana, en est l’illustration : arrivé à 32 ans par une révolution « propre » contre la corruption, il a fini par exercer dix-neuf ans de pouvoir, mêlant réformes et dérives.

Le Burkina Faso, sous Traoré, est à un carrefour. Si le capitaine réussit à transformer l’enthousiasme de la jeunesse en institutions solides, à stabiliser la situation sécuritaire et à impulser une gouvernance transparente, son passage au pouvoir pourrait marquer un tournant historique. À défaut, la défiance grandissante envers la junte et la persistance des crises risquent d’anéantir les promesses d’un nouveau départ.

Article d’Enoch Randy Aikins, chercheur à l’Institute for Security Studies (ISS), publié initialement dans ISS Today le 24 avril 2025.

Source : ISS Today – https://issafrica.org/iss-today