L’audition du Premier Ministre haïtien Ariel Henry par le juge d’instruction Walter Voltaire a suscité des réactions contrastées au sein de la population et de la presse. Certains ont qualifié cet acte de scandaleux, tandis que d’autres l’ont perçu comme une parodie de justice. Au cœur de cette controverse se trouve la question complexe de la procédure judiciaire à suivre lors de l’interrogation des hauts fonctionnaires en exercice, selon les déclarations de Me Samuel Madistin, président de la Fondasyon Je Klere (FJKL).
PORT-AU-PRINCE, jeudi 28 décembre 2023– Selon Me Samuel Madistin, président de la Fondasyon Je kere (FJKL), ce problème a été posé à la justice haïtienne avec acuité au moment de l’instruction en 1903 de ce qu’on appelle dans les annales judiciaires haïtiennes :’’ le procès de la consolidation.’’
Il estime que le juge d’instruction qui a la charge du dossier sur l’assassinat du président Jovenel Moïse, confronté à un dilemme juridique entre l’article 58 du Code d’Instruction Criminelle (CIC) permettant de citer tout citoyen en témoignage et les articles 400 et suivants du CIC établissant la procédure d’audition des hauts fonctionnaires de l’État, a été mis en avant.
Me Madistin met en exergue le cas historique du Magistrat Léon Nau du Tribunal de Première Instance de Port-au-Prince, qui, lors de l’instruction en 1903, a opté pour une approche minutieuse en entendant les Sénateurs Admète Malbranche et Stewart.
Dans une démarche procédurale détaillée, le Magistrat Léon Nau a adressé une lettre au Doyen du Tribunal Civil, Me A. Dyer, justifiant la nécessité d’entendre le Sénateur, avant de solliciter une audience et de lui soumettre un questionnaire. Cette méthodologie, mélangeant déplacements pour recueillir des témoignages et envoi de questionnaires sous plis cachetés, n’a pas entamé la crédibilité de l’enquête ni du procès qui a suivi, explique-t-il.
Me Madistin souligne également un autre cas emblématique impliquant le sénateur Rodolph H Boulos, qui a réussi à éviter une confrontation directe avec la justice en invoquant le précédent du procès de la consolidation. Ce dernier a accepté de répondre aux questions du juge Fils-Aimé par l’intermédiaire d’un questionnaire soumis sous pli cacheté et remis par l’avocat du sénateur.
‘‘Les agitations du Magistrat Claudy Gassant alors commissaire du Gouvernement près le tribunal de Première Instance de Port-au-Prince et la campagne médiatique du responsable de SOS journaliste, Joseph Guyler C. Delva, pour faire comparaître en personne le sénateur au bureau du juge n’ont pas été suivies d’effet’’, soutient Madistin, ajoutant que le poids de l’histoire et la personnalité du juge Léon Nau ont eu raison de ces agitations.
L’avocat, président de la FJKL, plaide en faveur d’une réforme du code d’instruction criminelle de 1835, qu’il estime dépassé. Il souligne le besoin urgent d’adopter un nouveau code de procédure pénale pour répondre aux questions non résolues de la législation haïtienne.
Il appelle à un vaste chantier de production législative lors de l’ouverture des travaux législatifs du prochain parlement après la résolution de la crise actuelle, mettant ainsi fin aux manquements de l’arsenal juridique.
La pratique judiciaire mise en lumière par Me Samuel Madistin cherche à prévenir des traitements vexatoires envers les hauts fonctionnaires de l’État appelés à témoigner. « Si on veut mettre fin à cette pratique il faudra adopter un nouveau code de procédure pénale et remplacer le code d’instruction criminelle de 1835 totalement dépassé. Trop de questions sont restées sans réponses pendant trop longtemps dans notre législation. L’exigence de la prévisibilité de nos lois, source de protection des droits et libertés de nos citoyens, souffre quand les lois sont tombées en désuétude », déclare-t-il.
‘‘A l’ouverture des travaux législatifs du prochain parlement après la résolution de la crise actuelle un vaste chantier de production législative devra s’ouvrir pour pallier les manquements de notre arsenal juridique’’, préconise.