PORT-AU-PRINCE, dimanche 10 décembre 2023– Me Samuel Madistin, expert haïtien en droit constitutionnel et international a, lors d’une interview a RHINEWS, mis en lumière les implications cruciales des condamnations pour blanchiment d’argent provenant du trafic de drogue en Haïti, en se basant sur l’article 135 alinéa C de la Constitution haïtienne.
Selon lui, la condamnation pour blanchiment ou trafic de drogue entraine automatiquement la perte des droits politiques.
Me Samuel Madistin a souligné que l’article 135 alinéa C de la Constitution haïtienne impose une interdiction stricte pour un individu condamné pour blanchiment d’argent provenant du trafic de drogue de se porter candidat à un poste électif.
« La perte des droits politiques, en vertu de cette disposition constitutionnelle, est perpétuelle, distinguant ainsi la législation haïtienne de certaines législations pénales mondiales qui limitent cette perte à dix ans après la fin de la peine », a-t-il déclaré.
Il a souligné que des individus déportés des États-Unis pour trafic de drogue, tels que Fourel Célestin, Jean Nesly Lucien, et Jacques Quêtant entre autres, conservent leurs droits civils mais perdent leurs droits politiques en Haïti. Bien qu’ils puissent mener des activités civiles ordinaires, ils sont inéligibles pour des postes électifs (CASEC à la présidence) et ne peuvent occuper certaines fonctions publiques, a-t-il soutenu.
Selon l’avocat, tous ceux qui se trouvent dans cette situation ne peuvent pas non plus occuper des postes comme premier ministre et ministre.
Il a insisté sur le fait que la condamnation à une peine afflictive ou infamante emporte avec elle la perte des droits politiques. Dans certaines législations pénales à travers le monde cette perte a une durée de dix ans après que le condamné ait fini de purger sa peine. Dans la législation haïtienne, a-t-il poursuivi, cette perte est perpétuelle puisqu’elle est élevée au rang de valeur constitutionnelle parmi les critères d’éligibilité pour ceux qui souhaitent occuper les Hautes fonctions de l’État.
‘‘La norme constitutionnelle est une norme supérieure qui s’impose à toutes les institutions. C’est sur cette base que plusieurs condamnés à l’étranger ont été écartés dans le passé des compétions électorales en Haïti. Le dernier cas qui me vient par la tête est celui du candidat Levelt François qui a été retiré de la liste des candidats agrées par le Conseil Électoral Provisoire (CEP) pour les élections présidentielles de 2015 au motif qu’il a été condamné aux Etats-Unis d’Amérique pour possession et trafic de cocaïne en application de l’article 36, alinéa C du décret électoral qui a reproduit les dispositions de l’article 135 de la constitution’’, a-t-il rappelé.
Madistin a indiqué que le blanchiment d’argent provenant du trafic de la drogue est un crime transnational ; Haïti est partie à la convention des Nations-Unies contre la criminalité transnationale organisée et des protocoles s’y rapportant.
Il a affirmé que cette convention est le principal instrument de lutte contre la criminalité transnationale organisée. Les États parties à cette convention reconnaissent que l’entraide judicaire, la coopération judiciaire internationale, la coopération policière internationale ou régionale et l’extradition sont indispensables entre les États pour mondialiser la répression contre ce phénomène de criminalité globale.
‘‘Dans ce cadre-là, a-t-il précisé, les jugements rendus sur des faits de criminalité transnationale produisent des effets directs en Haïti. La confiscation de biens en Haïti de criminels condamnés aux Etats-Unis ou dans d’autres pays étrangers en est une preuve éloquente.’’
Evoquant la collaboration étroite entre Haïti et les États-Unis dans la lutte contre la criminalité transnationale organisée, il a déclaré : « Les individus condamnés aux États-Unis, ayant coopéré avec la justice américaine pour la réduction de leurs peines, sont parfois recrutés par la DEA pour infiltrer les réseaux criminels en Haïti. Cependant, même dans de tels cas, les interdictions des droits politiques demeurent, et tout manquement à l’engagement pris peut entraîner des poursuites aux États-Unis. »
Il a établi un lien crucial entre l’article 135 alinéa C et la loi sur le blanchiment des avoirs. La loi, conformément à la convention sur la criminalité transnationale organisée, criminalise le blanchiment d’argent et répond aux obligations internationales. Elle inclut également la possibilité d’établir des antécédents judiciaires, permettant l’inscription des condamnations pour blanchiment dans le casier judiciaire des individus déportés.
Selon lui, la loi sur le blanchiment des avoirs répond aux obligations internationales d’Haïti contenues notamment dans les dispositions de l’article 6 de la convention sur la criminalité transnationale organisée ratifiée par Haïti. Cet article dispose que chaque État partie doit adopter des mesures législatives nécessaires pour conférer le caractère d’infractions pénales aux actes de blanchiment listés dans la convention et repris par la loi sur le blanchiment. Et l’alinéa 6, alinéa C de la Convention précise que les « les infractions principales incluent les infractions commises à l’intérieur et à l’extérieur du territoire relevant de la compétence de l’État en question », a-t-il soutenu.
La Convention prévoit en son article 22 « l’établissement d’antécédents judiciaires ». Cela veut dire que la personne condamnée dans un État partie à la convention pour des faits de blanchiment peut voir sa condamnation être inscrite dans l’État où il est transféré afin que cette information puisse être utilisée contre lui dans le cadre d’une procédure pénale ultérieure (problématique de la récidive). Donc, le casier judiciaire du condamné en terre étrangère n’est pas blanc dans l’État où il est déporté. Il comporte sa condamnation. Et c’est le cas dans tout État partie à la convention contre la criminalité transnationale organisée. Or, la loi sur le blanchiment des avoirs, quitte à me répéter, est la mise en œuvre de la convention contre la criminalité transnationale organisée dite convection de Palerme (entendu le lieu de son adoption en Italie).
Il a souligné que dans le cadre des programmes d’appui budgétaire au gouvernement par certains bailleurs de fonds comme l’Union européenne à titre d’exemple, les bailleurs exigent que des efforts soient consentis par l’état dans le cadre de l’établissement du cadre législatif et des mesures appropriées pour lutter efficacement contre le blanchiment comme critère d’évaluation aux fins d’ordonner les décaissements des fonds en faveur du Gouvernement
En ce qui concerne la possibilité de juger en Haïti ceux déjà condamnés aux États-Unis pour des infractions similaires, Madistin a confirmé que le principe non bis in idem est respecté. Les États parties à la convention peuvent collaborer mais ne peuvent pas juger une personne pour les mêmes faits devant deux juridictions différentes.
Cependant, il a fait remarquer que les Etats parties à la convention peuvent réaliser des enquêtes conjointes, transférer des procédures pénales pour faciliter la répression de ces crimes graves. Mais, ils acceptent le principe non bis in idem, c’est-à-dire la personne ne peut pas être jugée pour les mems faits par deux juridictions différentes.
L’avocat a rejeté l’idée que l’article 135 alinéa C souffre d’ambiguïté en raison de l’absence de spécification sur l’origine de la condamnation. Selon lui, le constituant a intentionnellement omis de limiter l’application de cette disposition à des condamnations prononcées par des tribunaux haïtiens, établissant ainsi la volonté d’inclure toutes les condamnations, nationales ou étrangères.
Il a nuancé sur le fait que ces individus ne perdent pas leurs droits civils. » Ils ne sont pas condamnés à la mort civile. Ils peuvent se marier, acheter, vendre. Mais, ils perdent leurs droits politiques. Ils ne peuvent pas être candidats, ils ne peuvent être ministres, ils ne peuvent pas être membres d’un Conseil d’Administration d’un Organisme Autonome à caractères administratif, culturel ou scientifique (OA) ou un Organisme Autonome à caractères commercial ou industriel (Entreprises publiques) (EP) aux termes de l’article 137 du décret portant organisation de l’Administration Centrale de l’État. Et normalement ils ne peuvent pas être juges, ils ne peuvent pas enseigner. Le droit d’enseigner étant un droit politique. On ne peut pas laisser aux condamnés à des peines afflictives et infamantes la possibilité de prêcher le mauvais exemple aux enfants et à la jeunesse, base de l’avenir de la nation », a déclaré Me Madistin.
L’analyse approfondie de Samuel Madistin met en évidence les nuances complexes entourant les condamnations pour blanchiment d’argent et trafic de drogue en Haïti, soulignant la nécessité d’une compréhension approfondie de la constitution, des lois internationales et des implications juridiques pour les individus concernés.
L’accord de coopération entre Haïti et les Etats-Unis en matière de répression de blanchiment d’argent et de trafic de drogue, remonte a 1997.
A date, environ une centaine de personnes ont été extradées aux Etats-Unis pour être jugées.