PORT-AU-PRINCE, samedi 1er mars 2025 Selon un rapport accablant du Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH), entre décembre 2024 et février 2025, Haïti a connu trois massacres d’une brutalité inouïe, illustrant l’impuissance totale des autorités face à la terreur imposée par les gangs armés. À Wharf Jérémie, Kenscoff et Chateaublond, 269 personnes ont été tuées, des dizaines d’autres blessées ou portées disparues, et des centaines de familles ont dû fuir, abandonnant leurs maisons incendiées. Le RNDDH) a documenté ces événements, dénonçant l’inaction du pouvoir de transition.
Le 6 et 7 décembre 2024, à Wharf Jérémie, le chef de gang Monel Félix, alias Roi Micanor, a ordonné l’exécution de 110 personnes, principalement âgées de 60 à 80 ans, après avoir été convaincu par un hougan que la maladie de son fils était due à la présence de « loups-garous » dans la communauté. « Les victimes ont été capturées, exécutées par balles, brûlées vives ou jetées à la mer », rapporte le RNDDH. Parmi elles, Dieuvé Joachim, un marchand de 65 ans, a été enlevé au marché et abattu sur ordre du chef de gang. Jean Voltaire, commerçant de 59 ans, a subi le même sort. Le 7 décembre, à la mort de son fils, la fureur de Monel Félix s’est intensifiée et 70 autres personnes ont été tuées, certaines dépecées pour des rituels mystiques.
Le 27, 28 et 29 janvier 2025, à Kenscoff, les gangs de Village de Dieu, sous les ordres de Johnson André, alias Izo 5 Secondes, ont attaqué plusieurs localités, causant 139 morts. À Godet, Kafou Bèt, Bwa Majò, Bongard, Chauffard et Belot, les bandits ont incendié des dizaines de maisons et exécuté des habitants, notamment des familles entières. Evens Azor, 30 ans, sa femme Bertide Desius, 31 ans, et leurs deux enfants, Déborah et Marvens, ont été tués en tentant de fuir. À Ti Plas, Zabelle César, 72 ans, mère de six enfants, a été abattue. La nuit du 29 janvier, malgré la présence tardive des forces de l’ordre, huit nouvelles victimes ont été recensées. Les localités de Kafou Bèt, Bwa Majò et Bois d’Avril restent toujours sous contrôle des gangs.
Le 16 février 2025, à Chateaublond, une expédition punitive menée par Stanley Jean-Philippe, fils d’un chef de gang tué par la police, a causé 20 morts. Accusant les habitants d’avoir informé la police, il a sollicité l’aide de Vitelhomme Innocent pour venger son père. Des maisons ont été incendiées, des véhicules détruits et une fillette de 10 ans a été violée. Parmi les victimes, François Pierre, 49 ans, sa femme Marie Denise Mondestin, 45 ans, et son beau-frère Jackito Mondestin, 20 ans, ont été exécutés chez eux. La panique s’est emparée de la population, forçant des centaines de personnes à fuir.
Face à ces atrocités, l’État haïtien est resté passif. « Les autorités n’ont rien fait pour empêcher ces massacres, malgré leurs cellules de renseignement », déplore le RNDDH. La Police nationale d’Haïti (PNH) et la Mission multinationale d’appui à la sécurité (MMAS) ont tardé à intervenir, permettant aux gangs de commettre leurs exactions sans obstacle. À Kenscoff, huit policiers seulement ont été envoyés pour contenir plus d’une centaine de criminels lourdement armés.
Le RNDDH pointe du doigt l’échec du Conseil Supérieur de la Police Nationale (CSPN), censé coordonner la lutte contre l’insécurité. « Le CSPN est aujourd’hui un spectateur impuissant du chaos généralisé », critique l’organisation. De son côté, la MMAS, arrivée en Haïti avec la promesse de restaurer l’ordre, « peine à convaincre et à rassurer la population ».
En trois mois, ces trois massacres ont causé 269 morts. La Direction de la Protection Civile recense 18 000 déplacés, contraints de vivre dans des camps insalubres ou de chercher refuge ailleurs. « Nous avons rencontré des familles qui dorment à même le sol, sans aucune assistance humanitaire », alerte un enquêteur du RNDDH.
Le rapport du RNDDH recommande plusieurs mesures urgentes, notamment l’octroi d’une assistance financière, médicale et psychologique aux victimes, une réforme profonde des forces de sécurité pour traquer et juger les criminels, ainsi qu’une allocation prioritaire des fonds de renseignement à la police et à l’armée.
Sans une réaction immédiate de l’État, le pays risque de sombrer dans une spirale de violences encore plus incontrôlable. « L’inaction du gouvernement alimente la criminalité et laisse les populations livrées à elles-mêmes », prévient le RNDDH.
Malgré les appels répétés à l’intervention, les autorités de transition n’ont pris aucune mesure concrète pour démanteler les groupes armés. « Depuis plusieurs mois, nous alertons sur l’expansion des gangs et les risques de massacres. Rien n’a été fait », déplore un responsable de l’organisation.
Les survivants de ces tragédies, quant à eux, peinent à envisager l’avenir. « J’ai tout perdu. Mon mari, mes enfants, ma maison… Nous sommes abandonnés », témoigne une rescapée de Kenscoff, en larmes.
Les massacres de Wharf Jérémie, Kenscoff et Chateaublond s’ajoutent à une longue liste d’exactions impunies. « Tant que les gangs contrôleront des pans entiers du territoire, les populations resteront sous la menace permanente de nouvelles tueries », conclut le RNDDH.
L’organisation appelle la communauté internationale à faire pression sur le gouvernement haïtien pour qu’il prenne enfin ses responsabilités. « Laisser la situation se détériorer davantage, c’est accepter que d’autres massacres se produisent », avertit le rapport.
Le silence des autorités, face à cette hécatombe, laisse craindre que ces 269 morts ne soient qu’un prélude à d’autres épisodes sanglants.
Clisuez sur le lien suivant pour lire l’intégralité du rapport du RNDDH :
2 – Rap – Wharf Jérémie – Kenscoff – Chateaublond – 28Fev2025