PARIS, jeudi 23 mai 2024– Analysant l’accord conclu en mars dernier entre le président kenyan, William Ruto et le Dr. Ariel Henry alors premier ministre de facto, le Dr en droit pénal, Guerby Blaise estime que l’arrivée imminente de la Mission Multinationale d’Appui à la Sécurité (MMS) à Haïti, force de police non onusienne, soulève des enjeux juridiques et politiques d’une importance capitale.
Pourtant, note-t-il, ce sujet crucial semble être ignoré par l’Université et la communauté des juristes haïtiens.
Un accord international régulier, mais quid de l’application interne ?
L’ex-Premier Ministre Ariel Henry a signé cet accord conformément aux normes internationales. “La signature de cet accord par l’ex-Premier Ministre Ariel Henry est régulière sur le plan international et son application n’est pas soumise à l’enregistrement auprès du Secrétariat des Nations Unies, comme stipulé à l’article 102 de la Charte des Nations Unies”, explique Me Guerby Blaise, docteur en droit pénal et politique criminelle.
Cependant, pour que cet accord soit effectif en Haïti, il doit être publié par décret, en vertu de l’article 276-1 de la Constitution de 1987. “L’application dudit accord sur le plan interne doit se réaliser par sa publication par décret”, précise Dr Blaise.
Les implications des clauses de privilèges et immunités
Les accords bilatéraux incluent souvent des clauses relatives aux privilèges et immunités des soldats étrangers. “Sans publication de l’accord entre Haïti et le Kenya au Journal Le Moniteur, l’immunité des soldats étrangers ne sera pas invocable devant les juridictions haïtiennes en cas d’infractions commises sur le territoire haïtien”, souligne Dr Blaise.
L’indifférence des juristes et politiques
Dr Blaise regrette l’inaction des juristes et des politiques sur ce sujet. “Il est regrettable que des candidats-juristes aux fonctions de Premier Ministre adhèrent à la résolution onusienne relative à la MMS sans attirer l’attention du Conseil Présidentiel de Transition (CPT) sur cette condition constitutionnelle déterminante”, affirme-t-il.
De plus, les parties prenantes à l’accord du 3 avril n’ont pas encouragé le CPT à publier l’accord bilatéral entre Haïti et le Kenya. “Cette inaction est d’autant plus regrettable que l’absence de publication compromet l’immunité des soldats étrangers”, ajoute-t-il.
Un débat scientifique inexistant
Depuis 2020, le seul débat scientifique notable en Haïti sur l’applicabilité des textes normatifs a été initié par Dr Blaise. “Mes critiques des ‘décrets liberticides’ adoptés par l’ex-Président Jovenel Moïse ont suscité plus de quatre heures d’échanges respectueux avec l’ancien Bâtonnier Dorval Monferrier en mai 2020”, rappelle-t-il.
“Malheureusement, les promesses de conférences scientifiques sur ces critiques n’ont pas été tenues, notamment celles du recteur d’une prestigieuse Université”, déplore-t-ili
Cependant, déclare-t-il, “Monferrier m’avait promis des conférences scientifiques, notamment sur la compétence juridictionnelle pour juger de l’inconstitutionnalité des décrets sans une loi-écran, elles ont été tenues.”
Sanctions internationales : Silence radio
Les sanctions prises par le Canada, les États-Unis, la République Dominicaine et les Nations Unies contre des politiques et entrepreneurs haïtiens n’ont pas non plus fait l’objet de débats scientifiques. “Un recteur d’une université prestigieuse en Haïti m’a promis la tenue de ce débat, mais je suis toujours dans l’attente”, révèle Dr Blaise.
Ces sanctions ont des implications majeures pour la démocratie haïtienne. “Il sera difficile d’exclure la candidature aux élections d’un individu sur la base de sanctions imposées par un pays tiers, en raison du principe de présomption d’innocence”, insiste-t-il.
Recommandations pour le futur
Dr Blaise ne cherche pas à justifier les actes potentiels des personnes sanctionnées, mais souligne la nécessité de la justice haïtienne de se saisir de ces questions. “Je recommande au CPT de publier l’accord bilatéral relatif au déploiement de la force de police étrangère en Haïti sous l’égide du Kenya. Cela optimiserait la réussite de la mission et préviendrait toute contrariété juridique à l’avenir”, conclut-il.