Alliance régionale contre le crime organisé en Amérique latine et dans les Caraïbes : Haïti, en marge face à l’escalade de la violence…

Policiers en action

Par Julieta Pelcastre,

GEORGETOWN,(Guyana), jeudi 6 mars 2025Dix-huit pays d’Amérique latine et des Caraïbes se sont unis au sein d’une alliance régionale pour lutter contre le crime organisé, une menace croissante qui met en péril la stabilité et la sécurité de la région. Avec le soutien de la Banque interaméricaine de développement (BID), cette initiative, lancée le 12 décembre 2024, vise à traiter conjointement ce problème, selon un communiqué du BID.

La stratégie de l’Alliance pour la Sécurité, la Justice et le Développement repose sur trois piliers fondamentaux : la protection des populations vulnérables, le renforcement des institutions de sécurité et de justice, et la réduction des marchés illicites ainsi que des flux financiers illicites. Cette approche privilégie la mise en œuvre de politiques fondées sur des preuves et des actions concrètes, en recherchant une réponse coordonnée et efficace parmi les pays membres, a indiqué le BID.

Les nations participantes incluent l’Argentine, les Bahamas, la Barbade, le Belize, le Brésil, le Chili, le Costa Rica, la République dominicaine, l’Équateur, le Guatemala, la Guyane, le Honduras, la Jamaïque, le Panama, le Paraguay, le Pérou, le Suriname et l’Uruguay, démontrant ainsi l’engagement collectif de la région en faveur de la sécurité et du développement, selon le communiqué.

« Le crime organisé transcende les frontières et le combattre nécessite une action régionale audacieuse et coordonnée. L’Alliance sera essentielle pour mobiliser les ressources, renforcer les capacités et protéger nos communautés, » a déclaré le président du BID, Ilan Goldfajn. « L’initiative vise également à forger des partenariats stratégiques et à maximiser l’impact des efforts nationaux contre le crime organisé. »

L’Alliance sera dirigée par un comité de pilotage et trois groupes techniques, qui comprendront la participation de plus de 20 pays. Ses efforts seront concentrés sur la réduction de la violence dans les communautés vulnérables, la modernisation des systèmes de sécurité grâce à la technologie et à la collaboration, et la lutte contre les marchés illicites avec des outils avancés, a indiqué le BID.

Collaboration internationale

Des membres de l’unité antidrogue de la Direction nationale de lutte contre la drogue de la République dominicaine surveillent une saisie totalisant 9,5 tonnes de cocaïne à Saint-Domingue, le 6 décembre 2024. Les drogues étaient dissimulées dans deux conteneurs de bananes en provenance du Guatemala, à destination de la Belgique.

(Photo : Francesco Spotorno/AFP)

Onze organisations internationales telles que l’Organisation des États américains (OEA), Interpol, la Banque mondiale et le Programme des Nations Unies pour le développement ont rejoint l’Alliance. Son lancement officiel a eu lieu lors du Sommet régional sur la sécurité et la justice à Bridgetown, à la Barbade.

« Ces alliances se tournent vers des organisations telles qu’Interpol, Europol et les agences américaines, car elles disposent d’une vaste expérience, de ressources plus importantes et d’une formation pointue pour faire face aux menaces transnationales, » a déclaré Jorge Serrano, conseiller de la Commission du renseignement du Congrès péruvien, à Diálogo.

L’Équateur assumera la présidence pro tempore, tandis que le BID jouera le rôle de Secrétariat technique, en fournissant un soutien stratégique et en mobilisant des ressources essentielles. Dans les Caraïbes, l’Alliance mettra en œuvre ses actions à travers le programme One Safe Caribbean contre le crime organisé, aligné sur la stratégie régionale ONE Caribbean 2024-2028, afin de garantir une synergie et une efficacité dans ses objectifs.

« Cette nouvelle Alliance doit bénéficier du soutien total des gouvernements de chaque pays membre, avec un engagement solide en faveur de la sécurité intérieure et des ressources humaines, infrastructurelles, technologiques et économiques suffisantes pour atteindre ses objectifs, » a déclaré Serrano. « En plus des décisions politiques, il sera nécessaire de développer des stratégies durables au fil du temps pour lutter contre le crime organisé et le narcotrafic. »

La montée du crime organisé

L’augmentation du crime organisé en Amérique latine et dans les Caraïbes résulte d’une combinaison de facteurs structurels et historiques. Parmi ceux-ci figurent une production de drogue record et l’ouverture de nouvelles routes dans des pays tels que l’Argentine, le Costa Rica et le Paraguay, ainsi que l’émergence de nouveaux marchés de consommation, selon un rapport de l’Institut royal Elcano, groupe de réflexion espagnol.

Depuis plus de quatre décennies, la région est un centre névralgique de la production et du trafic de narcotiques. Selon le rapport, la Bolivie, la Colombie et le Pérou dominent la production mondiale de cocaïne, tandis que l’Amérique centrale, la Colombie, l’Équateur, le Mexique et le Venezuela ont consolidé leur position en tant que points d’exportation stratégiques vers l’Europe et les États-Unis.

Parallèlement, le crime organisé diversifie ses activités en se tournant vers des délits tels que le trafic d’êtres humains, l’exploitation minière illégale, l’extorsion, la déforestation massive et la production de drogues de synthèse telles que le fentanyl, transformant ainsi les dynamiques régionales et mondiales, indique l’Institut Elcano.

La connectivité, favorisée par les avancées technologiques, crée des dynamiques selon lesquelles « les producteurs situés dans les Caraïbes, en Amérique centrale, en Colombie, en Équateur, au Mexique et au Pérou se voient approvisionnés en précurseurs chimiques par des puissances asiatiques telles que la Chine, l’Inde et Singapour, entre autres, » indique le magazine Foreign Affairs Latinoamérica, une initiative conjointe du Council on Foreign Relations et de l’Institut technologique autonome du Mexique (ITAM), dans un rapport.

Un facteur clé facilitant ces activités est la corruption, qui permet aux réseaux criminels de s’infiltrer dans les économies légales et de perpétuer leur impunité. Selon une analyse du site d’information In.Visibles, une plateforme de journalistes et d’universitaires spécialisés dans le crime organisé en Amérique latine, le blanchiment d’argent ne finance pas seulement ces activités, mais affecte également la santé publique, la justice, la compétitivité des entreprises, les salaires, l’emploi, l’investissement et la perception de la sécurité, comme l’indique Foreign Affairs Latinoamérica.

« En plus du blanchiment d’argent, la région sud-américaine est confrontée à un nouveau défi criminel puissant : l’exploitation illégale de l’or, qui ces dernières années a dépassé le narcotrafic en termes de revenus, » a déclaré Serrano. « Ce délit opère en parallèle du narcotrafic, lequel collabore avec des groupes terroristes tels que le Hamas et le Hezbollah, créant ainsi un cercle vicieux qui corrompt la bureaucratie et aggrave la crise régionale. »

Renforcement de la lutte

Les policiers chiliens exposent des bidons de peinture saisis contenant 844 kilogrammes de méthamphétamine, une drogue de synthèse dont la valeur estimée sur le marché atteint environ 16 millions de dollars, à Santiago, le 10 janvier 2025.

(Photo : Javier Araos/AFP)

Le soutien des États-Unis à la région vient compléter les efforts de la nouvelle Alliance, renforçant la sécurité en Amérique latine par le biais de projets tels que l’Initiative de sécurité du Bassin des Caraïbes et des accords bilatéraux pour lutter contre les activités illégales.

« Les États-Unis sont profondément impliqués dans les questions de sécurité mondiale, avec un accent particulier sur la lutte contre le narcotrafic et le crime organisé transnational en Amérique latine, » a déclaré Serrano. L’influence des États-Unis a été déterminante dans les stratégies de sécurité contre les drogues, selon un rapport de la fondation politique colombienne Friedrich-Ebert-Stiftung.

Des institutions et agences telles que le Commandement Sud des États-Unis (SOUTHCOM), la DEA et le FBI dirigent des opérations, des recherches et des formations avec les forces de sécurité des nations partenaires de la région. De plus, l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID) met en œuvre des programmes visant le développement et la prévention dans les communautés vulnérables.

« En plus des alliances régionales, faire face aux menaces dans la région nécessite que les trois pouvoirs de l’État dans chaque pays, ainsi que les représentants de la société civile et des organisations non gouvernementales, travaillent ensemble pour réduire la corruption et apporter un soutien total à ce type d’initiatives, » a déclaré Serrano. « Le narcotrafic et le crime organisé constituent les principales menaces dans la région. »

Il est essentiel de souligner qu’en dépit de l’engagement régional démontré par les 18 pays membres de l’Alliance, Haïti ne figure pas parmi eux. Ce constat est particulièrement préoccupant compte tenu du contexte interne d’Haïti, où le pays est aujourd’hui confronté à une escalade de la violence criminelle, alimentée par l’action de groupes terroristes.

Selon les récents chiffres publiés par l’ONU, la situation en Haïti se détériore de manière alarmante. Le rapport indique notamment une augmentation de près de 40 % des incidents violents dans certaines zones urbaines et une recrudescence du chaos social qui plonge le pays dans une crise humanitaire sans précédent. Cette violence, exacerbée par l’influence de groupes terroristes, fragilise davantage un système étatique déjà en difficulté et accentue la détresse de la population.

Cette omission d’Haïti dans l’alliance régionale, alors que la nation fait face à des défis sécuritaires majeurs, rappelle l’urgence d’une réponse internationale plus inclusive et coordonnée pour soutenir tous les pays de la région confrontés aux mêmes menaces.

Cet article de Julieta Prlcastre a été publié en anglais initialement sur:  https://dialogo-americas.com/articles/latin-america-caribbean-united-front-against-organized-crime/