PORT-AU-PRINCE, mardi 15 avril 2025 (RHINEWS)– Dans un communiqué publié ce lundi, la Fondasyon Je Klere (FJKL) a salué la transmission au parquet du rapport d’enquête de la Direction Centrale de la Police Judiciaire (DCPJ) dans l’affaire Magalie Habitant, tout en soulevant des préoccupations sur des faiblesses importantes de l’enquête. Ce dossier, emblématique par l’ampleur de ses implications et le profil de ses protagonistes, continue de captiver l’attention d’une population épuisée par la violence et avide de justice.
Selon la FJKL, l’interpellation de l’ancienne directrice du Service National de Gestion des Résidus Solides (SNGRS), Magalie Habitant, et de son chauffeur Lenès Jean Philippe, survenue le 9 janvier 2025 à Thomassin, commune de Pétion-Ville, s’inscrivait dans le cadre d’une opération de filature visant à démanteler un réseau en lien avec la coalition criminelle « Viv Ansanm ». La FJKL souligne que les prévenus ont été maintenus en garde à vue bien au-delà du délai légal de quarante-huit heures sans comparution devant un juge, ce qui constitue une entorse aux garanties judiciaires fondamentales.
L’organisation de défense des droits humains déplore également l’absence de communication officielle du parquet de Port-au-Prince et de la DCPJ pendant plus de trois mois, ce qui, selon elle, a alimenté « rumeurs et spéculations autour du traitement du dossier ». La tension est montée d’un cran avec l’interpellation ultérieure de plusieurs autres figures, dont l’ancien député Prophane Victor, l’ancien directeur de la Caisse d’Assistance Sociale Elionor Devallon, ainsi qu’un groupe d’individus identifiés comme agents de l’État ou affiliés à des gangs notoires.
C’est dans ce contexte explosif que la DCPJ a finalement transmis le dossier au parquet le 10 avril 2025, accusant Magalie Habitant, Prophane Victor et leurs coaccusés de complicité d’assassinat, tentative d’assassinat, vol à main armée, enlèvement contre rançon, détention illégale d’armes, entre autres chefs. La DCPJ sollicite également la délivrance de mandats contre des figures connues du crime organisé, notamment Jimmy Chérizier alias Barbecue, Renel Destina alias Ti Lapli, Vitelhomme Innocent et d’autres figures clefs de la nébuleuse « Viv Ansanm ».
Dans son analyse, la FJKL salue le caractère globalement structuré du rapport, qu’elle qualifie de « sérieux dans l’intention et la méthode », mais pointe des dérives notables. Parmi les faits les plus accablants figurent les communications téléphoniques et échanges WhatsApp entre Magalie Habitant et divers chefs de gangs, notamment Kempès Sanon, à propos de l’achat de vingt caisses de cartouches pour un montant de soixante-dix mille dollars. La FJKL note également la reconnaissance par l’ex-directrice du SNGRS d’avoir servi d’intermédiaire pour des transferts d’argent, d’avoir sollicité des fonds publics à travers Elionor Devallon pour des figures telles que Jimmy Chérizier, et d’avoir négocié la libération contre rançon de ressortissants dominicains en 2021 à la demande de l’ancien président Jovenel Moïse.
L’implication directe d’institutions publiques, comme la CAS, dans ces affaires soulève, selon la FJKL, des « interrogations sérieuses sur la porosité de l’État face aux réseaux criminels ». Des chèques émis par la CAS pour des montants élevés, notamment au profit de son propre directeur Elionor Devallon, révèlent selon la FJKL un détournement manifeste de fonds destinés à des personnes vulnérables. « Comment expliquer que certains bénéficiaires reçoivent 1 500 gourdes, alors que d’autres, liés à l’administration, perçoivent des montants de 100 000 gourdes ? », interroge l’organisation.
Mais la FJKL ne se limite pas aux accusations. Elle met également en lumière ce qu’elle qualifie de « faiblesses inquiétantes » du rapport. L’inclusion de notes non vérifiées émanant du Bureau de Renseignements Judiciaires (BRJ), où Magalie Habitant et Prophane Victor sont désignés comme commanditaires de « Viv Ansanm » sans preuve matérielle, constitue selon elle une dérive procédurale. « Une allégation n’est pas un indice. Un indice, ce sont des faits, des traces, des objets – pas une opinion ni une rumeur », précise la FJKL, qui regrette que les enquêteurs aient confondu les deux.
Le traitement réservé à l’Inspecteur Général Alain Auguste, directeur central de la Police Administrative, constitue un autre point d’alerte. La DCPJ, selon la FJKL, a tenté de l’impliquer à travers des questions « sans fondement » posées à Magalie Habitant sur un prétendu projet visant à le propulser à la tête de la PNH avec le soutien de gangs. Trois convocations ont été émises à son encontre sans suite, mais son nom a tout de même été cité dans les premières étapes de l’enquête. « Une enquête criminelle ne peut servir d’outil de règlement de comptes politiques ou personnels », martèle la FJKL, qui appelle le CSPN à garantir l’intégrité des processus d’enquête.
Plus surprenant encore, alors que la DCPJ a cherché à impliquer Alain Auguste sans preuve, aucun mandat n’a été émis contre l’homme d’affaires non identifié qui, selon l’enquête, a offert un véhicule blindé de niveau 6 d’une valeur de plus de 250 000 dollars au chef de gang Jeff Larose alias Jeff Gwo Lwa. Pour la FJKL, « cela illustre un deux poids deux mesures intolérable dans la lutte contre le financement du terrorisme ».
En dépit de ces critiques, la FJKL estime que « le rapport contient des éléments solides qui méritent une poursuite judiciaire approfondie ». À l’issue des auditions, le parquet de Port-au-Prince a d’ailleurs décidé de mettre en liberté trois des treize personnes arrêtées, à savoir Jacquelin Glaude, Peterson Felix et Evens Monnier, tandis que les autres sont renvoyés au cabinet d’instruction.
« Le juge instructeur devra garantir que cette enquête respecte les droits des victimes, de la société et des inculpés », conclut la FJKL, qui promet de « suivre l’évolution de ce dossier jusqu’au procès ».