PORT-AU-PRINCE, mardi 14 janvier 2025- Dans un réquisitoire daté du 8 janvier 2025, le Ministère public près la Cour d’Appel de Port-au-Prince s’est prononcé sur l’appel interjeté par Emmanuel Vertilaire, conseiller-président, contestant la compétence du juge instructeur en charge de son dossier. Ce dernier, poursuivi pour abus de fonction, versement de pot-de-vin et corruption passive, s’oppose à l’émission d’un mandat de comparution à son encontre, qu’il considère comme une violation de son statut et des privilèges de juridiction attachés à sa fonction.
Le 3 décembre 2024, Vertilaire a fait appel du mandat de comparution émis par le juge d’instruction Benjamin Félismé, arguant que son statut de Conseiller-Président au sein du Conseil Présidentiel de Transition (CPT) l’assimile au Chef de l’État, lui conférant ainsi une immunité juridictionnelle. Il soutient que les faits reprochés, supposément commis dans l’exercice de ses fonctions officielles, ne peuvent être examinés par un juge d’instruction ordinaire.
Le Ministère public a jugé l’appel recevable, estimant que le mandat de comparution constitue une ordonnance implicite de compétence, donc susceptible d’appel. Toutefois, il a relevé une contradiction dans l’argumentation de Vertilaire concernant l’article 90 du Code pénal, qui ne s’applique pas à la poursuite d’un Président de la République ou à ses prérogatives.
Les faits remontent à un rapport de l’Unité de Lutte contre la Corruption (ULCC), qui avait demandé l’ouverture d’une action publique contre Emmanuel Vertilaire et d’autres personnalités, dont Louis Gérald Gilles et Smith Augustin, conseillers-présidents membres du CPT. Suite à cette sollicitation, le Parquet près le Tribunal de Première Instance de Port-au-Prince avait requis, le 4 octobre 2024, une information judiciaire. Le juge instructeur avait ensuite émis des mandats de comparution à l’encontre des personnes concernées. Emmanuel Vertilaire, contestant la légalité de ce mandat, avait interjeté appel, invoquant des arguments juridiques basés sur la Constitution et les décrets organisant le CPT.
Le Ministère public a d’abord établi que l’appel était recevable. Il s’est appuyé sur l’article 10 de la loi du 26 juillet 1979 sur l’appel pénal, qui autorise l’inculpé à contester les ordonnances du juge, notamment celles touchant à la compétence. Le réquisitoire précise que le mandat de comparution, émis le 2 décembre 2024 et contesté dès le lendemain, respecte les délais légaux.
Emmanuel Vertilaire a invoqué son rôle au sein du CPT, créé par décret le 10 avril 2024, pour justifier sa prétendue immunité. Selon lui, en tant que Conseiller-Président, il exerçait les prérogatives du Président de la République et devait bénéficier du privilège de juridiction constitutionnellement prévu pour cette fonction.
Cependant, le réquisitoire rappelle que le Conseil Présidentiel est un organe collégial et que ses membres, bien qu’investis de certaines prérogatives présidentielles, ne peuvent individuellement se prévaloir du titre de Président de la République. Le Ministère public reconnaît néanmoins que ces conseillers incarnent le prestige de la présidence et que leurs fonctions méritent une considération particulière, y compris en matière de privilèges de juridiction.
L’appelant a également soulevé la violation de l’article 24-1 de la Constitution, qui garantit que toute poursuite ou arrestation doit se faire dans les formes prescrites par la loi. Il a en outre évoqué l’article 90 du Code pénal, qui sanctionne les autorités ayant engagé des poursuites contre des fonctionnaires sans autorisation préalable. Le Ministère public a rejeté ce dernier argument, jugeant qu’il n’était pas applicable au cas d’un membre du CPT.
Après analyse, le Ministère public a conclu que le juge ordinaire devait se déclarer incompétent “ratione personae” pour instruire contre Emmanuel Vertilaire. Il a requis que la Cour d’Appel infirme l’ordonnance contestée, juge à nouveau, et ordonne au juge instructeur de surseoir à toute action contre l’appelant en raison de sa qualité de Conseiller-Président.