PORT-AU-PRINCE, vendredi 7 février 2025– “Le 7 février 1986 marque un tournant majeur dans l’histoire d’Haïti. Ce jour-là, après près de trois décennies de régime duvaliériste, Jean-Claude Duvalier quitte le pouvoir sous la pression d’une insurrection populaire combinée à des interventions internationales. Pourtant, trente-neuf ans plus tard, les aspirations démocratiques portées par cette journée semblent encore inabouties.” À l’occasion de cet anniversaire, le professeur Rodolph Mathurin revient sur la portée du 7 février 1986 et sur les défis qui en découlent pour la nation haïtienne.
Selon lui, “il est crucial de continuer à parler du 7 février, car cette date représente à la fois un espoir et un avertissement pour notre histoire”. Si elle incarne la fin officielle d’une dictature, elle symbolise aussi une transition incomplète, où les structures du régime déchu ont su se réinventer pour maintenir leur influence.
Le professeur Mathurin met en lumière les causes complexes qui ont conduit à l’éviction de Jean-Claude Duvalier. “Le 7 février 1986 est le résultat de deux dynamiques : la lutte intérieure du peuple haïtien contre la dictature et les ajustements géostratégiques américains dans la région, visant à contenir l’influence des idées progressistes et marxistes”, explique-t-il. Si la révolte populaire a joué un rôle décisif, Mathurin insiste sur le fait que “le plan de départ de Jean-Claude Duvalier a été coordonné par des puissances étrangères, et ce sont elles qui ont également organisé sa succession”. Ainsi, une première conclusion s’impose : “La tête du régime a changé, mais le système, lui, est resté en place”.
Loin d’être une rupture franche avec l’ancien ordre, le 7 février 1986 marque plutôt l’ouverture d’une période d’incertitude, où les forces démocratiques et les résistances du régime déchu s’affrontent”. Cette transition fragile se traduit par une alternance de violences, de coups d’État et d’instabilité institutionnelle.
Mathurin rappelle que la période de 1986 à 1994 a été marquée par la résistance des masses face aux tentatives de restauration du régime. Les élites duvaliéristes et militaires, refusant d’abandonner leur pouvoir, orchestrent des massacres dans les quartiers populaires et les zones rurales. “Les événements de Fort-Dimanche et du 29 novembre 1987 sont les exemples les plus frappants de cette répression”, précise-t-il. La tentative d’instauration démocratique est violemment contrariée par ces bains de sang, avant d’être carrément interrompue par les coups d’État militaires qui plongent Haïti dans quatre années de terreur. Mais face à cette répression, le peuple haïtien continue de lutter pour maintenir vivante l’idée d’un État démocratique.
L’instauration d’un gouvernement civil en 1994 aurait pu marquer une avancée décisive vers la démocratie. Pourtant, le mouvement populaire se fragmente, ouvrant la voie à des luttes internes qui affaiblissent la dynamique révolutionnaire. “Les anciens alliés de la lutte contre la dictature deviennent des adversaires, et cette division permet aux forces conservatrices de regagner du terrain”, observe Mathurin. Le coup d’État de 2004 scelle cette dynamique et réinstalle dans le jeu politique ceux qui avaient été évincés en 1986.
Aujourd’hui, Haïti traverse une phase de déstructuration totale. Mathurin constate que “nous assistons à un effondrement des bases mêmes de la participation populaire dans la gouvernance du pays”. Les gangs armés, la paralysie des institutions et la violence politique ont remplacé les mécanismes de représentation démocratique, transformant le pays en un territoire où les citoyens n’ont plus aucun contrôle sur leur destinée.
Alors que le pays est plongé dans le chaos, Mathurin pose un constat amer : “Trente-neuf ans après, la démocratie haïtienne est toujours une promesse non tenue”. Il appelle à la construction d’un nouveau projet politique basé sur la justice, l’éthique et la solidarité, condition essentielle pour sortir du cycle de crises. Finalement, la question demeure : Haïti a-t-elle réellement tourné la page de la dictature, ou vit-elle encore sous une autre forme d’oppression?